Une femme sur trois serait victime de violences sexuelles. Ce chiffre bondit à neuf sur dix en cas d'autisme, soit trois fois plus. Des violences perpétrées, pour la plupart, à plusieurs reprises et qui débutent particulièrement jeune, pointe une étude française (en lien ci-dessous, en anglais) publiée dans la revue scientifique Frontiers in behavioral neuroscience le 26 avril 2022. « Cette enquête démontre, encore une fois, que le cumul de vulnérabilités est un facteur important dont l'agresseur sait se saisir », explique Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA), qui se réjouit que ce problème de société majeur fasse « enfin » l'objet d'une étude de taille. « Nous évoquons ce chiffre depuis des années mais cela n'a jamais semblé inquiéter personne... », déplore-t-elle. Une mise en lumière nécessaire pour améliorer la sensibilisation générale aux violences sexuelles et, in fine, la prévention et la prise en charge dédiées.
Des difficultés d'interprétation
« Nous sommes dans une société aux yeux bandés ! », dénonce Marie Rabatel, qui fut elle-même victime de viol. Alors 225 femmes autistes ont répondu à un questionnaire en ligne pour tenter de lui ouvrir les yeux… « Lorsque nous avons commencé l'étude, les recherches étaient encore rares sur ce sujet spécifique, qui était néanmoins très discuté au sein de la communauté autiste, affirme sa coauteure, le Dr Fabienne Cazalis, du pôle sciences sociales du Centre national de la recherche scientifique (CNRS-EHESS). C'est cette communauté qui a attiré notre attention sur l'importance de l'étudier. » La spécificité de cette étude ? Deux méthodes d'identification, via une question ouverte puis des questions spécifiques. Alors que 68,9 % des participantes identifient les violences sexuelles qu'elles ont subies, elles sont en réalité 88,4 % à en avoir été victimes. Cet écart révèle notamment l'incapacité de ce public à interpréter certains gestes, et appelle à un besoin de sensibilisation accru. Les chercheurs tiennent tout de même à souligner le fait que l'autisme, et plus largement le handicap, « n'est qu'un facteur de vulnérabilité » et non le « principal responsable » des violences subies.
Des conséquences dévastatrices
La jeunesse, un autre facteur de risque ? En effet, sur 199 victimes, 135 étaient âgées de 18 ans ou moins et 112 de 15 ans ou moins au moment de la première agression, augmentant le risque de développer un stress post-traumatique. Seul un tiers d'entre elles l'ont signalée. Parmi elles, 25 % ont pu porter plainte et/ou recevoir des soins. Pour les 75 % restants, « nada » ; le signalement n'a entraîné ni poursuite judiciaire ni suivi thérapeutique. Six mois après l'agression, les personnes interrogées font principalement état de troubles du sommeil, d'un « dégoût pour le sexe », d'automutilation, d'une prise de poids, de consommation excessive de drogue et/ou d'alcool, allant même jusqu'à des tentatives de suicide. Des symptômes pouvant avoir un impact considérable sur leur santé, d'une part, mais aussi sur la construction de leur identité en tant que femme.
Des programmes de prévention à grande échelle
Pour prévenir ces abus, certains auteurs proposent « d'éduquer les victimes potentielles » afin de leur donner les clés pour mieux se protéger. « A la lumière de nos résultats, nous avons constaté que cette proposition était inapplicable notamment car plus de la moitié des victimes étaient en-dessous ou à l'âge du consentement », soit 15 ans, en France, analysent les auteurs de l'étude. Ces derniers privilégient donc « les programmes de prévention à grande échelle », proposés notamment par l'Organisation mondiale de la santé et le Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies, qui ont pour ambition d'entamer des changements culturels profonds, comme la réduction la violence sexuelle systémique et l'inégalité entre les sexes, qu'ils identifient comme « la racine même de la violence sexuelle ».
« Plus la société reste silencieuse, plus elle encourage les agresseurs à poursuivre ces actes ignobles. Il y a urgence à savoir repérer les conséquences psychotraumatiques, au-delà du diagnostic d'autisme », conclut Marie Rabatel, interpellant les pouvoirs publics, les institutions et la « société toute entière ». « Des vies en dépendent ! », alerte-t-elle.