D'un secret de famille, une soeur morte enfant qu'il n'a jamais connue, l'acteur et réalisateur Eric Caravaca a tiré un documentaire intime sur les fantômes du passé et la force du déni, Carré 35, en salles le 1er novembre 2017.
Une image manquante
Sur un tournage, l'acteur de La chambre des officiers et de L'amant d'un jour raconte avoir ressenti une tristesse profonde dans le "carré enfant" d'un cimetière. C'est de ce trouble qu'il est parti pour remonter le fil d'une histoire familiale complexe, hantée par la disparition et la décolonisation. Le film est né d'une "image manquante", celle de Christine, sa soeur aînée, dont les photos ont été détruites et le nom à peine prononcé pendant son enfance, explique à l'AFP l'acteur-réalisateur dont c'est le deuxième long métrage après Le Passager, sorti en 2006. Pour "réhabiliter cette enfant", Eric Caravaca s'est mis derrière la caméra et a interrogé ses proches, dont son père qui vivait ses derniers jours.
L'enfant trisomique secrète
Personnage pivot, enfermée dans le déni, sa mère est bouleversante lors d'entretiens face caméra où elle refuse de révéler tous ses secrets. "Mon ambition initiale était qu'elle se débarrasse de ce déni mais elle reste dedans", affirme-t-il. Elle n'a pas vu le film et il ne sait guère si elle voudra le voir. Au fil de son enquête, Eric Caravaca va découvrir que cette "grande soeur", née d'un couple d'Espagnols de Casablanca qui s'installera ensuite en France, était trisomique. Une blessure pour ce jeune couple qui la confiera à des proches les derniers mois de son existence.
Autocensure et trous de mémoire
Ce voyage sous influence psychanalytique va conduire le réalisateur jusqu'au Maroc dans le cimetière français de Casablanca. Mêlant films en super 8, interviews, extraits de documentaires sur le contexte colonial ou le sort réservé aux enfants handicapés à l'époque nazie, Carré 35 revendique l'influence de Chris Marker (La jetée) et de Patricio Guzman, qui explore la mémoire chilienne. Tout en évoquant une histoire familiale, le film se penche plus largement sur les secrets et les non-dits, notamment ceux de la colonisation. "C'est le même principe de censure, d'autocensure et de trous de mémoire". Parler de la grande histoire "m'a autorisé" à faire ce film qui ne parle pas que d'une histoire personnelle, souligne Eric Caravaca.
Un endroit de parole
Au départ très littéraire, son film, présenté en séance spéciale cette année au Festival de Cannes, a été réduit à l'essentiel (il dure un peu plus d'une heure) grâce à un montage précis de plusieurs mois où "les images ont pris le relais des mots", selon ses termes. Cette deuxième expérience derrière la caméra l'a dans tous les cas conforté dans son désir de continuer à réaliser des films. "La réalisation, c'est un endroit de parole", estime celui qui est également acteur.
Par Aurélie Mayembo