Par Sonia Avalos
Silvio Velo est né aveugle. Le Messi du cécifoot suit la trajectoire du ballon, contrôle, fait un petit pont et frappe dans la lucarne. Son objectif : l'or aux Jeux paralympiques de Rio en septembre 2016 avec la sélection argentine. Capitaine de l'équipe nationale de cécifoot, Los Murcielagos (Les chauve-souris, ndlr), il a déjà décroché avec ses coéquipiers trois Coupes du monde (2002, 2006, 2015), deux Copa América (1999, 2005), la médaille d'argent aux Jeux paralympiques d'Athènes-2004 et le bronze à Pékin-2008.
Les yeux masqués par un bandeau
Dans cette discipline, olympique depuis 2004, les joueurs (cinq par équipe) ont les yeux masqués par un bandeau, pour être tous logés à la même enseigne car le handicap des joueurs va du malvoyant à l'aveugle. En revanche, le gardien de l'équipe voit normalement. Le ballon, sonore, est équipé de petits grelots pour aider les joueurs à le repérer. « Quand j'ai entendu un ballon pour la première fois, c'était comme écouter de la musique », raconte Silvio, qui vient d'avoir 45 ans. L'or paralympique, gagné par le Brésil en 2012 à Londres, tel est l'objectif de la sélection argentine à Rio : « Nous voulons cette médaille, c'est celle qui nous manque, nous sommes pleins d'espoir », assure-t-il. Les meilleurs joueurs sont généralement ceux qui sont aveugles de naissance, et c'est le cas de Silvio, qui a découvert le cécifoot à l'âge de dix ans. Jusque-là, il jouait au football classique avec ses amis dans sa ville natale, San Pedro, dans le nord de la province de Buenos Aires. Là-bas, il faisait même du vélo et jouait à cache-cache. « Même si je ne trouvais jamais personne...», rigole-t-il.
Le ballon dans un sac pour l'entendre
Charismatique et enjoué, Silvio impressionne par sa capacité à se situer sur le terrain, ce qui en fait « un joueur à part, le Messi du cécifoot », salue Claudio Falco, entraîneur assistant de la sélection argentine. Une qualité qu'il a forgée au fil des années, apprenant également à manier le ballon sans le voir. « J'entendais mes amis qui jouaient avec le ballon, le faisant rebondir sur le genou, l'épaule, d'un pied à l'autre... et je me demandais : comment faire si je ne le vois pas ? Si je soulève la balle, je la perds ! », se souvient-il. A l'époque, il ne connaissait pas encore le ballon sonore. Alors, pour l'entendre, il a décidé de placer la balle dans un sac plastique, apprenant ainsi à « le frapper de différentes manières » : « avec un pied, avec le mollet, le genou, la tête, et je m'amusais ». Sa vitesse a surpris son préparateur physique, Mariano Arnal, un ami d'enfance. « Pour l'entraîner nous courions ensemble, attachés par la main. Mais il était tellement rapide qu'au bout d'un moment il courait et moi j'allais en vélo, mais là non plus ça n'a pas suffi et j'ai fini par l'entraîner avec une moto », raconte Mariano en riant.
Silence dans le public
Un match de cécifoot, d'une durée de 50 minutes, a quelque chose de magique ; les joueurs traversent le terrain à toute vitesse malgré leurs yeux bandés. Balle au pied, ils se font des passes sans trébucher ni se bousculer, comme des planètes en orbite. Sur les côtés du terrain, qui a la taille d'un terrain de handball et est entouré de barrières, les entraîneurs indiquent vers où dribbler. Derrière le but, quelqu'un guide les tirs. Les règles sont identiques à celles du football classique, même s'il n'y a pas de hors-jeu. Pour se repérer entre eux, les joueurs crient « Voy ! » (j'y vais !) et indiquent ainsi où ils se trouvent. Face à ce spectacle, le silence rigoureusement observé par le public contraste avec les chants bruyants des supporteurs qui animent généralement les stades argentins. Ce silence est nécessaire pour que les joueurs puissent entendre le ballon.
Maradona puis Messi
Père de cinq enfants et jeune grand-père d'un bébé de quelques mois, Silvio est le buteur de la sélection argentine et capitaine depuis un quart de siècle déjà. C'est lui que ses coéquipiers cherchent de la voix quand ils approchent de la cage. « Avant on me comparait à Maradona, maintenant à Messi. C'est un honneur de traverser les générations et qu'on continue à me comparer au meilleur joueur à chaque fois », dit-il. Dans la ligue argentine, après une décennie comme idole du club de River Plate, il vient de signer pour le grand rival, Boca Juniors, pour lequel il a toujours eu une faiblesse. Enfant, il en écoutait les exploits à la radio. « Ma référence était Hugo Gatti, le 'Loco' (le fou, ndlr), car il faisait des choses différentes, il aimait bien faire des feintes, j'aimais bien quand il était en tête-à-tête avec un rival », raconte-t-il. Silvio est lui aussi connu pour ses passes audacieuses, ses petits ponts admirés par ses coéquipiers et ses supporters. « Moi je joue au football avec passion, avec joie. Sur le terrain je suis un enfant. Je n'ai jamais vu Maradona ou Messi faire un petit pont et pourtant je le fais », confie-t-il. Quand il déchausse les crampons, il donne des conférences de développement personnel sur un thème qui lui tient à cœur, objet d'un prochain livre : « Si on a la volonté, rien n'est impossible ».
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