Des tables, des chaises, un tableau blanc, des pots de crayons de couleur, des élèves : à première vue, rien ne distingue des autres la classe de "CP-CE1 LSF" de l'école Châteaugiron-Landry à Rennes. Hormis le silence. Et, au mur, une affiche représentant l'alphabet en langue des signes française (LSF), destinée aux élèves sourds de cette section bilingue, unique en Bretagne. Coups de coude, tortillements et gigotements quelques minutes avant la récré... Aidés de leur enseignant sourd, souvent accroupi à leur hauteur, qui échange avec eux des signes fluides et rapides, trois jeunes élèves localisent et écrivent sur leur carte de la Terre ses deux hémisphères et l'équateur.
Premiers élèves en 2012
C'est un petit groupe de parents qui a réclamé l'ouverture de cette classe, dans la foulée de la loi du 11 février 2005 permettant aux parents d'enfants sourds de les scolariser, au choix, en parcours ordinaire ou bilingue "langue des signes française/français écrit". Elle a accueilli ses premiers élèves en 2012, malgré des difficultés liées au manque d'enseignants sourds ou maîtrisant la langue des signes, bannie de l'enseignement pendant près d'un siècle entre 1880 et les années 1980. Pilotée par Kerveiza, une institution d'accompagnement d'enfants sourds, en partenariat avec la ville de Rennes et l'Éducation nationale, elle scolarise une petite dizaine d'élèves, répartis entre la maternelle et le CP-CE1, tous
nés de parents sourds.
Une classe bilingue épanouissante
Grâce à ce parcours bilingue, choisi majoritairement par les parents sourds, la scolarité de leurs enfants est à mille lieues de ce que la plupart ont connu dans leur enfance: "j'étais en classe d'intégration, noyée, je ne
pouvais pas communiquer, je criais, j'étais stressée, nerveuse", se souvient Stéphanie Crozat, née de parents entendants et qui a choisi la classe bilingue pour "l'épanouissement" de ses enfants. "Je naviguais entre les deux mondes, je ne trouvais pas ma place", renchérit une autre mère d'élèves, Jessica Jouanneau. "Ici, les enfants sont autonomes. Il n'y a pas d'accompagnement spécifique mais un dialogue plus direct avec le professeur, c'est mieux".
Vers des études supérieures
Ouverte sur les classes d'élèves entendants, notamment au travers d'ateliers communs, la classe bilingue fait la part belle au numérique et à la vidéo, "primordiale" dans l'enseignement d'une langue gestuelle, où le moindre mouvement fait sens, selon l'enseignant d'élémentaire, Maxime Bouhours. Pour ces élèves dont la LSF est la langue maternelle, l'enjeu de ce parcours est de taille car l'enseignement en langue des signes leur offre un "modèle linguistique de qualité leur permettant par la suite d'entrer dans la langue française écrite", explique Xavier Debroise, chef de service de Kerveiza. A la clé : l'accès aux études supérieures, qui reste un parcours du combattant pour les personnes sourdes, victimes d'un taux d'illettrisme important.
Pour un avenir radieux
"On a fait le choix de cette classe bilingue pour que l'avenir de nos enfants soit aussi radieux que pour les entendants, qu'ils puissent acquérir des connaissances pour avoir une scolarisation normale, accéder à un niveau supérieur, voire l'université", témoigne Stéphanie Crozat, mère de deux enfants scolarisés dans cette section. L'enseignant offre aussi aux enfants un "modèle" adulte : "ils peuvent se dire : voilà, quand je serai grand je serai peut-être sourd mais je pourrai être aussi enseignant, ils ont l'image d'un adulte sourd avec une certaine position", souligne Xavier Debroise.
Un Capes de LSF
Si la loi de 2005 donne aux parents le choix du parcours scolaire de leur enfant, "le dialogue a été difficile" avec l'académie pour l'instaurer, affirme Stéphanie Crozat. "On savait qu'ils faisaient des efforts mais c'était difficile, on ne pouvait pas mettre ça en place d'un coup de baguette magique", d'autant qu'au début "il n'y avait pas de professeurs sourds enseignant la langue des signes". Le Capes de LSF a été instauré en 2010 et il n'existe pas de spécialité LSF au concours de professeur des écoles. "Depuis la loi de 2005, l'évolution est très lente, c'est à nous de pousser pour que les gens se réveillent et pour montrer que ça fonctionne ", reconnaît Jessica Jouanneau.