A la fin de son CM2, Nathanaeil est retirée de l'école ordinaire. Devenue non-voyante après une hémorragie cérébrale, elle subissait du harcèlement scolaire de la part de ses camarades de classe. Une solution est alors trouvée par sa famille : le CNED. Agée aujourd'hui de 32 ans, la jeune femme l'admet : le Centre national d'enseignement à distance (CNED) lui a permis « de se réconcilier avec le système éducatif ». Comme elle, environ un tiers des inscrits (33,75 %), du CP à la terminale, sont malades ou en situation de handicap, avec majoritairement des déficiences visuelles, auditives et des troubles du spectre autistique. Fondé en 1939, cet établissement public placé sous la tutelle de l'Education nationale assure être « au service des élèves empêchés ou aux besoins éducatifs particuliers ». Sur son site, le CNED précise « proposer un certain nombre d'adaptations de scolarité », dont le principe de la scolarité réglementée en maternelle pour les élèves en situation de handicap de plus de six ans et « qui n'ont pas la capacité d'intégrer une classe de cours préparatoire (CP) dans de bonnes conditions ». Il offre également « la possibilité de suivre une année scolaire sur deux ans » ou encore d'intégrer « l'enseignement général et professionnel adapté (Egpa) » pour les élèves handicapés du premier degré.
Un livre blanc du handicap
« Notre engagement sur ce sujet se réalise sur deux volets, au niveau de l'accompagnement humain et de l'accessibilité des contenus numériques », précise Rozenn Jarnouën, directrice des formations du CNED qui dispose de référents accessibilité dans les trois cycles (primaire, collège, secondaire) et dans le supérieur. Investi dans cette démarche depuis 2013 avec la signature d'un partenariat avec le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), le CNED a rédigé depuis un « livre blanc du handicap » et multiplie, selon Rozenn Jarnouën, les « efforts pour améliorer l'accessibilité des contenus sur internet, en adoptant notamment les préconisations de la Direction interministérielle du numérique, ou 'Dinum' » et en sensibilisant depuis deux ans « tous ses agents » au sujet du handicap. Des alternatives textuelles pour les personnes malentendantes sont par exemple proposées, de même que des formats numériques permettant la transcription en synthèse vocale des contenus écrits sont dédiés aux déficients visuels et chaque enseignant/auteur signe dans son contrat, une « clause sur l'accessibilité numérique ». « On leur demande par exemple systématiquement de contourner les images pour les personnes malvoyantes, à l'aide d'une description textuelle. On leur conseille également de remplir des tableaux d'une certaine façon afin que la synthèse vocale puisse les lire », détaille Rozenn Jarnouën.
Des retours d'expériences en demi-teinte
Oui, mais à y regarder d'un peu plus près, la réalité n'est pas tout à fait conforme à la « brochure ». Déficient visuel depuis l'âge de 16 ans, Hugo Kleitz, étudiant en BTS gestion des petites et moyennes entreprises (GEPME), s'est tourné vers les cours à distance afin de faire coïncider sa scolarité avec ses nombreux rendez-vous médicaux. A 24 ans, les études d'Hugo sont en pointilles et son avenir plus que « flou ». Aujourd'hui, le jeune homme se considère « en échec scolaire », et « le CNED y est pour beaucoup », selon lui. La plupart de ses cours lui ont été envoyés au format PDF et non natifs (au format word), ce qui rend difficile voire impossible la lecture en synthèse vocale. En décembre 2021, Hugo découvre l'existence de l'association « Accompagner, promouvoir, intégrer les déficients visuels » (apiDV), qui fournit aux étudiants malvoyants, des transcriptions d'ouvrages littéraires et scolaires. Or l'adhésion à cette association, qui coûte entre vingt et trente euros, n'est pas couverte par le CNED ni par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Et certaines retranscriptions plus complexes nécessitent un coût supplémentaire dont se serait bien passé l'étudiant aux revenus minimes. En demandant le soutien de la MDPH au titre de son handicap, pour bénéficier d'une aide financière, Hugo est tombé sur un os : « Ils m'ont répondu, après des mois de pourparlers, que c'était à moi de payer avec le forfait cécité qui est normalement dédié à une aide humaine ».
Zéro pointé sur la communication
« Toutes ces démarches administratives, des échanges de mails, coups de téléphone auprès de différentes associations pour obtenir des aménagements et des financements, me prenaient une à deux heures par jour durant toute ma scolarité », poursuit le jeune homme désabusé. Les problèmes de communication avec le CNED viennent ensuite s'ajouter à la charge mentale préexistante, liée au handicap. « J'ai demandé un aménagement de scolarité, notamment pour ne pas être pénalisé au moment du contrôle continu. J'y ai passé plus de trois mois, pour qu'au final on me réponde : 'On ne peut rien pour vous. Il faut que vous fassiez de votre mieux. Vous verrez bien l'année prochaine' ». Même constat amer du côté du groupe Facebook « CNED 2022-2023 », où les commentaires affluent. Le fils de Katy, diagnostiqué autiste avec haut potentiel intellectuel, doit être exempté d'oral au bac d'après le médecin scolaire de son académie. Seulement, voilà, « le CNED n'ayant jamais reçu la validation définitive refuse de mettre les adaptations nécessaires », s'agace sa mère.
Quid des handicaps moteurs ?
Côté handicap moteur, là encore, des dysfonctionnements et autres incohérences façonnent l'expérience des personnes concernées. Virginie Abdou a fait part de sa colère dans une lettre ouverte adressée au président de la République et au ministre de l'Education nationale fin 2017. L'objet de ce courrier ? La fin du droit au professeur répétiteur passés 16 ans. Le service de répétitions à domicile, mis en place par le CNED pour les élèves relevant de la « scolarité règlementée » et justifiant d'une décision de la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) leur permet de bénéficier d'un accompagnement à domicile pour la préparation des cours, à raison de plusieurs heures par semaine. Or le CNED met fin à ce droit après 16 ans. Une injustice (toujours en vigueur), selon Virginie qui « écrit seule avec de grandes difficultés ». Si la jeune fille a envisagé un retour en classe pour pouvoir bénéficier d'une AVS scolaire, elle a finalement fait machine-arrière lorsqu'elle a vu les problèmes d'accessibilité de l'établissement. « Je pense qu'il faudrait trouver des solutions pour que les études par correspondance soient plus adaptées », suggère-t-elle.
Démarche d'amélioration en continu
Sans l'aide de sa grand-mère, ancienne prof de latin-grec et d'un voisin enseignant de mathématiques, Nathanaeil le reconnaît, elle n'aurait jamais pu suivre seule, avec son handicap, les cours à distance. Conscients des problématiques rencontrées par les étudiants qu'ils accompagnent, les membres de la section étudiants d'apiDV s'en mêlent à leur tour : « Il n'est pas normal que certains élèves s'appuient sur leur restant visuel pour comprendre leurs cours ou se heurtent à des murs de silence lorsqu'ils demandent de l'aide », déclare Coralie Goltrant, responsable des stages et alternances à la section étudiants d'apiDV. Une meilleure accessibilité des ouvrages, une communication plus directe avec, pourquoi pas, « une hotline qui vous répond »… Les idées pour améliorer le dispositif du CNED ne manquent pas. Informé par nos soins de ces problématiques, le principal intéressé affirme être dans une « démarche d'amélioration en continu », en tenant compte des retours des élèves, invités à s'exprimer via un formulaire sur son site.