La coéducation est un concept dans l'air du temps, définie comme une « priorité » par l'Education nationale. L'idée étant de « renforcer la confiance et le dialogue entre l'école et les familles », ainsi qu'avec les professionnels de santé en cas de handicap. En d'autres termes, permettre une « participation accrue des parents à l'action éducative » au sein même des établissements. Objectif ? Travailler en symbiose dans l'intérêt de l'enfant. Il existe même une circulaire officielle à ce sujet (n° 2013-142) datant de 2013. Sur le papier, ça se tient, mais dans la réalité ?
Historiquement, les parents sont restés aux portes des écoles. A eux l'éducation des enfants ; aux enseignants leur instruction. Depuis, la glace s'est (très) lentement brisée... Pour autant, les réticences demeurent. La famille Puech en a fait les frais. Lydia et Arnaud Puech sont parents d'Amaury, onze ans, en situation de handicap à la suite d'une naissance prématurée. Selon cette maman, « l'école devient de plus en plus un lieu fermé où la coéducation n'est souvent pas invitée et où l'inclusion est parfois laissée de côté ».
La coéducation pas au RV
Les difficultés apparaissent dès l'entrée en maternelle car Amaury ne parle pas à cause de sa surdité moyenne et de ses troubles dys, dont la dysphasie, même s'il ne présente aucune déficience intellectuelle. La famille est en cours de bilan et tente de faire le relais entre les professionnels de santé et les enseignants en toute transparence dans l'intérêt de leur enfant. Mais, au sein de l'école, ils peinent à savoir ce qu'il se passe. « Les échanges étaient quasi impossibles et, lorsqu'il y en avait, on nous répondait dans le vague, se souviennent Lydia et Arnaud. On nous considérait comme des parents intrusifs. » Pas davantage d'amélioration dans le primaire... D'un côté, les professionnels de santé proposent des aménagements et des outils, de l'autre, on se montre réticent à les appliquer. On refuse à Amaury l'usage d'un boulier et d'une réglette numérique alors qu'il a besoin de visualiser et manipuler pour comprendre. Il faut alors bricoler un autre « stratagème », avec un système de bâtons. « On s'est tout de suite dit que la coéducation tant espérée ne serait pas au rendez-vous », explique Lydia, qui assure que d'autres parents sont dans des situations similaires un peu partout en France et se voient même refuser l'usage d'outils informatiques (tablette ou ordinateur) malgré la notification MDPH !. C'est aussi l'investissement des professionnels de santé qui est impacté. « A quoi bon maintenir des séances de rééducation chez l'ergothérapeute, le psychomotricien, l'orthophoniste, si le travail ne peut être réinvesti en classe ? », interroge-t-elle.
Un répit de courte durée
Le CM1 offre une année de répit grâce à une enseignante à l'écoute qui propose une pédagogie adaptée et tient compte de l'expertise des intervenants médico-sociaux. Répit de courte durée... Au deuxième trimestre du CM2, la famille se résout à faire appel au Sapad (Service d'assistance pédagogique à domicile) deux jours par semaine avec le soutien des professionnels de santé qui suivent Amaury ; mis en place dans chaque département par l'Education nationale, ce dispositif est dédié aux enfants malades, accidentés ou immobilisés pour leur permettre de continuer à suivre le programme. Lydia se dit « fatiguée de toujours répéter les mêmes choses et de constater qu'il est difficile d'appliquer les aménagements », d'autant que c'est Amaury qui « doit en payer les conséquences et s'adapter ! » « Mettre un enfant malentendant et appareillé au fond de la classe, refuser la compréhension écrite pour pallier la compréhension orale, ne pas partager des leçons à l'écrit via une clé USB fournie par nos soins : voilà des exemples d'aménagements non respectés ayant eu un impact direct sur notre fils qui s'est épuisé dès le premier trimestre car il devait redoubler d'efforts pour y arriver », poursuit-elle.
La colère éclate lorsque les parents prennent connaissance d'une note de synthèse, rédigée par un inspecteur, qui critique le comportement de Lydia et la rend responsable de tous les conflits. La famille décide alors de dénoncer ces « jugements graves » aux ministères concernés. Une procédure au tribunal administratif est en cours.
Epuisés d'être catalogués
Voilà sept ans que Lydia et Arnaud se démènent, épuisés d'être « catalogués » juste parce qu'ils « connaissent leur enfant », parce qu'ils souhaitent « le soutenir dans son instruction pour qu'il devienne un adulte indépendant ». « Souvent, j'entends parler de comportements inappropriés et agressifs de la part de parents mais le contraire existe aussi, ajoute Lydia. La violence des mots existe dans les deux sens. Certains enseignants exercent des pressions, peuvent avoir des propos diffamatoires. On ne parle pas de ces mamans souvent qualifiées d'hystériques. On ne parle que rarement de ces familles qui montent sur des grues pour espérer obtenir gain de cause. Mais ce sont des réalités que l'on ne peut pas cacher. »
Un droit inscrit noir sur blanc
Pourtant, rien ne semble avoir été laissé au hasard par l'Education nationale... « Les droits des parents d'élèves à assurer leur rôle éducatif sont reconnus à travers : un droit d'information sur le suivi de la scolarité et du comportement scolaire de leurs enfants, un droit de réunion s'exerçant dans le cadre de rencontres collectives ou individuelles, un droit de participation par leurs représentants, membres ou non d'une association, élus ou désignés pour siéger dans les instances des écoles et des établissements scolaires », est-il écrit sur son site. La loi pour la refondation de l'Ecole de la République de 2013 prévoit même la création, « dans tous les établissements d'enseignement, d'un espace (salle de classe ou pièce réservée) à l'usage des parents ». Catherine Hurtig-Delattre, auteur du livre La coéducation à l'école, c'est possible, juge, en même temps, que « c'est complexe » car « il s'agit avant tout d'un système relationnel, et tout système relationnel est difficile ». Selon elle, il faut que les « professionnels mettent en place des moyens et dispositifs concrets », avec des « règles du jeu » pour que « cela puisse fonctionner ».
Bientôt une asso dédiée
Pour Lydia, il n'est pas question de mettre tous les enseignants dans le même sac : « Je sais que beaucoup s'efforcent d'écouter et souffrent d'un manque de moyens mais ils ont l'honnêteté d'en parler avec les familles et trouvent des solutions avec le soutien des professionnels de santé ». Pour tenter de changer la donne et de « renflouer le dialogue », le couple projette la création dans les mois à venir d'une association, avec l'appui de professionnels de santé et de femmes et hommes de loi, afin de défendre les droits des enfants à besoin spécifiques, tous handicaps confondus. Il entend aussi dénoncer cette « maternophobie excessive » dans le champ du handicap, qui mène dans certains cas à des « informations préoccupantes ou des signalements abusifs ». Il observe que « prendre un avocat pour défendre ses droits devient monnaie courante dans une société dite inclusive. C'est regrettable d'en arriver là mais c'est parfois la seule solution pour avancer ».
Aujourd'hui, le bilan est amer... Certains aménagements n'ayant pas été respectés, Amaury est déscolarisé, contraint de suivre ses cours via le Cned (Centre national d'enseignement à distance) depuis le 9 mai 2022. « Un triste constat d'échec », se désolent ses parents, qui placent malgré tout de nouveaux espoirs dans la prochaine rentrée, au collège...
© Aurore Jean