« Qui veut transformer l'offre sociale et médico-sociale ? », interpelle l'organisme de formation Acolea developpement, qui orchestre le colloque éponyme. Depuis plus de vingt ans, pouvoirs publics et acteurs de terrain tentent de faire évoluer ce secteur. Entre initiatives locales, grandes lois et réformes institutionnelles, la transformation semble être toujours « en cours » mais jamais pleinement accomplie, constate-t-il.
Un sentiment d'immobilisme persistant
Pourquoi ce sentiment d'immobilisme persiste-t-il malgré les volontés politiques affichées et les engagements du terrain ? Comment rendre l'action sociale plus inclusive, individualisée et respectueuse des droits des personnes handicapées ? Pour obtenir des réponses, rendez-vous le 5 novembre 2024, de 13h à 18h30, à l'espace l'Ouest lyonnais, au 6 rue Nicolas Sicard, 69 005, Lyon (75 euros en présentiel, 15 euros en visio).
Des experts déterminés à faire bouger les lignes
Plusieurs experts se réuniront pour en débattre, notamment Adrien Taquet, ancien ministre chargé de la Protection de l'enfance, François Bernard, directeur général du Groupement des associations partenaires d'action sociale (GAPAS), Bertrand Ravon, professeur de sociologie, ou encore Julia Boivin, conférencière spécialiste de l'autodétermination. Cette jeune femme qui vit avec une paralysie cérébrale dévoile les enjeux majeurs de cet évènement...
Handicap.fr : De nombreux colloques traitent de cette question d'actualité, quelle est l'ambition de celui-ci ?
Julia Boivin : Mettre un (petit) coup de pied dans la fourmilière ! Il s'agit de favoriser une prise conscience, d'essayer de mettre à plat tous les paradoxes qui existent dans les systèmes social et médicosocial. Mais aussi d'identifier les priorités pour booster l'autodétermination et de donner des pistes pour changer les pratiques de management, de recrutement. Qui recrute-t-on ? Les critères de recrutement doivent-ils évoluer ? On ne peut pas accompagner comme il y a vingt ans parce que le contexte social a changé. En résumé, quels sont les leviers, non pas pour désinstitutionnaliser dans l'immédiat, mais réformer les institutions pour demain.
H.fr : Quelle question souhaitez-vous aborder lors de cet évènement ?
JB : Je vais aborder un angle un peu différent à savoir : comment ne pas faire reposer l'autodétermination seulement sur les personnes handicapées mais sur l'évolution du système et des réponses et qu'on leur propose. L'enjeu ? Parvenir, un jour, je l'espère, à rendre les institutions et les dispositifs plus flexibles et plus « capacitants » pour les personnes en termes d'autodétermination.
H.fr : Que reprochez-vous au système actuel ?
JB : L'expérience que j'en ai en tant que formatrice, et d'ailleurs je fais de moins en moins de formations à cause de cela, c'est que l'on forme des acteurs de l'accompagnement, en leur demandant de développer l'autodétermination mais sans jamais s'interroger sur la manière dont on pourrait adapter le système selon les demandes et les envies des personnes.
H.fr : Quelle difficulté rencontrez-vous dans la formation des professionnels à l'autodétermination ?
JB : Le sujet est tellement large, c'est difficile de savoir par où commencer, ils sont souvent un peu perdus. Et puis, il ne faut pas seulement former les pro, ce sont bien les personnes qui doivent développer leur autodétermination. Aujourd'hui, on voit comment les institutions se réapproprient cette question sans pour autant bouger leur cadre ni prendre conscience de l'impact sur les personnes accompagnées mais aussi les professionnels. Ce n'est pas qu'une question de personnes mais aussi de moyens.
H.fr : Vous disiez que vous aviez décidé de faire moins de formations. Pourquoi ?
JB : La demande est pourtant très importance mais ce que je regrette c'est que c'est souvent du « one shot », il n'y a pas de suivi derrière. Ça met les professionnels et les personnes accompagnées dans des situations inconfortables. Il y a tellement de turn over dans le secteur du social et du médicosocial que je pourrais passer ma vie à former... Mais à quoi bon ? J'aurais beau changer les choses à petite échelle, si personne n'arrose les graines que je sème, ça ne poussera pas. Ce qui coince, c'est au niveau du management et de l'organisation des institutions. Je m'attèle donc désormais à la mise en place de projets qui font concrètement bouger les lignes en termes d'autodétermination.
H.fr : Quel projet par exemple ?
JB : J'accompagne notamment un projet porté par l'association Envoludia, à Paris, qui gère des établissements médicosociaux pour personnes avec un handicap neuro-moteur, essentiellement une paralysie cérébrale. Son directeur général, Michel Marciset, a choisi de ne pas former les gens ; il propose simplement des modules de sensibilisation de deux heures. A défaut, il réunit dans chaque foyer d'accueil médicalisé (FAM) et maison d'accueil spécialisée (MAS) un groupe de trois résidents volontaires, une animatrice et une facilitatrice -qui est une professionnelle non pas rattachée à l'établissement mais au siège-, autour d'une question : « Que souhaitez-vous changer dans votre quotidien ? ». Ils formulent ensuite une « demande d'action », le directeur de l'établissement a ensuite dix jours pour la mettre en place. Cette expérimentation est financée notamment par l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
H.fr : Quel type de demandes formulent les résidents généralement ?
JB : Rien de surréaliste. « Je veux pouvoir manger seul dans ma chambre quand j'ai envie » ou « aller dans un bistro une fois par semaine », par exemple. Dans 80 % des cas, ce sont des demandes qui interrogent l'organisation de l'établissement.
H.fr : Quelles sont les craintes des établissements face à ce type d'initiatives ?
JB : Souvent, les directeurs nous disent : « Mais comment faire s'ils sont quatre ou cinq à vouloir manger seuls dans leur chambre ? ». Je leur réponds que, « pour l'instant, ce n'est pas un sujet, il y en a un, alors on se concentre sur lui et on voit ce que cela implique ». Dans la seconde partie de l'expérimentation, s'il y en a davantage, on verra si cela entraîne un problème en termes de moyens RH, d'organisation du temps, et on s'adaptera.
H.fr : Quels sont les autres freins ?
JB : Ce qui bloque aussi, ce sont les réflexions des professionnels : « Si les résidents commencent à décider, ils vont bientôt décider de tout », « Comment se fait-il qu'ils puissent agir sur mon planning ? ». Ah oui, ça change un peu la gestion du pouvoir ! Face à ces remontées de terrain, l'établissement n'hésite pas à mettre en place des mesures disciplinaires en cas de maltraitances verbales des pro.
H.fr : Quel est l'enjeu de ce projet ?
JB : C'est un projet qui casse les codes, il exhorte à arrêter de théoriser sur l'autodétermination et à passer à l'action !
H.fr : Un autre exemple d'initiative vertueuse que vous évoquerez le 5 novembre ?
JB : Dans le cadre du projet que je porte au sein de l'académie des experts d'usage de Paralysie cérébrale France (Paralysie cérébrale : personnes expertes vont former les pro), nous sommes amenés à intervenir auprès de travailleurs sociaux. Pas une seule fois, nous avons évoqué le terme « autodétermination » avec eux et, pourtant, notre formation a eu un véritable impact sur le quotidien des personnes accompagnées et des professionnels qui les encadrent. Conclusion : lorsqu'on est plus précis dans sa demande de formation, on fait bouger les choses (qui sont en lien avec le concept d'autodétermination) mais ça ne doit pas être le cœur du sujet.
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