Handicap.fr : La CAA, c'est quoi ?
Céline Poulet : Communication alternative et améliorée. Numérique ou non, elle propose des moyens de communication adaptés (gestes, symboles, pictogrammes, synthèses vocales, logiciels ludiques...) aux personnes qui ne parlent pas ou ont des difficultés de communication, pour favoriser leur autonomie et l'exercice de leur pleine et entière citoyenneté.
H.fr : Qui est concerné ?
CP : Un très large public. De nombreux handicaps et maladies entraînent des troubles de la parole ou du langage et empêchent la communication : les troubles du spectre de l'autisme, le polyhandicap, les troubles du développement intellectuel, la paralysie cérébrale, les lésions cérébrales, les aphasies ou dysphasies, les maladies neurologiques telles que la SLA (maladie de Charcot), le LIS (locked-in syndrom) ou la SEP (sclérose en plaques). Cette démarche peut aussi concerner toutes les personnes qui sont temporairement privées de la parole : qui sortent d'un coma, intubées suite à une opération…
H.fr : La France est à la traîne dans ce domaine ?
CP : En effet. Alors que de nombreux pays européens ont fait de la CAA une démarche nationale, notre pays reste largement en retard. A l'heure de la transition numérique et du développement des aides électroniques, il est urgent et indispensable de remédier à cette situation. La Croix-Rouge française espère que ce sujet essentiel sera pris en compte ; la prochaine Conférence nationale du handicap (ndlr : qui doit avoir lieu en mai 2018) serait d'ailleurs l'occasion de lancer cette démarche nationale.
H.fr : Pourquoi la Croix-Rouge française s'est-elle engagée dans cette voie ?
CP : Parce que nous avons fait le constat que beaucoup de citoyens en situation de handicap n'ont accès à aucun moyen de communication. Communiquer ce n'est pas seulement oraliser ou s'exprimer en langue des signes. Certaines personnes s'expriment par le regard, en touchant, en tapant sur la table... Selon leur situation, on met en place l'outil adapté ; cela peut être une commande oculaire, un contacteur, une souris commandée par le souffle ou des logiciels adaptés. En 2016, la Croix-Rouge française a donc défini une 14e priorité en faveur des personnes handicapées : chaque personne accompagnée par notre association doit pouvoir bénéficier d'un outil de communication adapté. Cet engagement citoyen fort, c'est notre projet « Communiquons autrement » qui est aujourd'hui déployé sur l'ensemble de nos établissements et services.
H.fr : Comment atteindre cet objectif ? Les professionnels sont-ils suffisamment initiés ?
CP : Il va sans dire que tous ne l'étaient pas. Notre première étape est donc de les former. Dans un second temps, nous déployons des kits numériques de communication adaptés à différents publics. Les professionnels disposent ainsi de plusieurs outils et doivent évaluer, pour chaque personne, enfant comme adulte, celui qui lui correspond le mieux. Les aidants familiaux sont également étroitement associés.
H.fr : Mais, une fois l'évaluation réalisée, comment s'équiper ?
CP : Ensuite, nous souhaitons aider les personnes et leurs aidants à monter un dossier MDPH pour obtenir, dans le cadre de la PCH (prestation de compensation du handicap), un outil personnalisé. Les équipes de la MDPH peuvent ainsi s'appuyer sur un diagnostic des besoins réalisé par des professionnels. Ce type d'expertise manque en France. Le plus souvent, on s'équipe sur catalogue et si, faute de formation, on ne sait pas s'en servir, le matériel finit au placard. L'argent public n'est pas fléché, et si la personne a besoin d'un autre outil, c'est râpé parce que les montants sont plafonnés. Donc il vaut mieux ne pas se louper ! Sans oublier les délais de traitement avec d'énormes disparités puisqu'ils peuvent aller de quatre mois à plus d'un an selon les départements. En Norvège, par exemple, il est demandé au prestataire d'installer le dispositif sous sept jours après évaluation du bénéficiaire.
H.fr : Vous évoquiez d'autres pays. Des exemples ?
CP : Le taux d'équipement d'Assistive technology en Allemagne est huit à dix fois supérieur à celui de la France par nombre d'habitants. Dans d'autres pays, l'investissement se fait sur les services proposés par les prestataires afin que l'outil soit bien utilisé et efficace dans le temps. C'est le cas en Suisse où les prestataires privés sont rémunérés sur les prestations de services apportées.
H.fr : En France, lorsque l'outil ne sert pas, il est mis au rebut ?
CP : Oui, c'est ce qui arrive souvent, il n'est pas remis en circulation et ne bénéficie à personne d'autre. Alors qu'il pourrait être réaffecté dans des centres ressources à mettre en place en proximité des personnes en mutualisant les savoir-faire des professionnels. Malgré des initiatives éparses, il n'y a pas de démarche nationale en ce sens. Pourtant, l'étendue des besoins en CAA et la pertinence de la réponse que constituent ces outils (outils évolutifs et adaptables à chaque personne en situation de handicap, haut niveau technologique, excellents résultats) justifient qu'ils soient optimisés tout au long de leur durée de vie. Les pays scandinaves, l'Allemagne, la Suisse ou le Luxembourg emploient un système d'économie circulaire où le matériel reste la propriété du financeur. C'est l'une des propositions que nous faisons au gouvernement. En attendant, la Croix-Rouge française entend s'en inspirer et proposer au sein de son réseau d'établissements une base de données pour permettre l'échange de ces outils.
H.fr : C'est la même gamme d'outils de communication qui est proposée au sein de tous vos établissements ?
CP : Oui, les mêmes outils et logiciels pour tous car l'intérêt est de pouvoir en mesurer l'impact à grande échelle, via un vrai réseau, et, ensuite, selon les retours, de les faire évoluer et monter en gamme. Cela représente 70 établissements médico-sociaux sur les 93 que gère la Croix-Rouge française.
H.fr : Et pour les 23 autres ?
CP : Ce sont notamment des Esat qui accueillent des publics qui n'ont pas besoin par exemple d'un eye tracker (outil de pointage commandé par l'œil). Pour le moment, nous nous concentrons sur les publics les plus éloignés de la communication.
H.fr : Observez-vous déjà des résultats positifs ?
CP : Oui, dans les établissements où la communication est encouragée depuis longtemps, on observe une baisse des « comportements problèmes » car les personnes peuvent enfin exprimer vraiment leurs besoins, leurs désirs et leurs douleurs. Les ambiances sont plus apaisées et sereines.
H.fr : Vous pouvez compter sur le soutien financier de la fondation Française des Jeux pour mener à bien ce projet…
CP : En effet, et ce dans le cadre de sa nouvelle orientation autour de « L'égalité des chances par le jeu », qui privilégie les démarches ludiques et numériques. Elle nous a fait confiance sur un sujet pas facile, qui ne concerne pas vraiment le grand public et moins porteur en termes de communication que le sympathique robot Nao dédié aux enfants avec autisme que nous avions également soutenu il y a quelques temps. Alors je dis donc : chapeau bas !