Milena, autiste : d'agricultrice à athlète de haut-niveau

Autiste et atteinte d'une maladie neurologique rare, Milena Surreau avance dans le bruit, la lumière et la fatigue comme d'autres en terrain miné. Championne d'Europe de para badminton, elle a trouvé dans le sport une manière de se dépasser.

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Milena Surreau lève les bras vers le ciel à la fin du match du 5 octobre.

Le gymnase résonne encore des cris des supporters. À Istanbul (Turquie), le 5 octobre 2025, Milena Surreau a remporté bien plus qu'un match. En battant en deux sets la n°3 mondiale, l'Ukrainienne Oksana Kozyna (21/17, 21/19), la Française, porteuse d'une maladie génétique rare et d'autisme, a décroché sa première médaille d'or internationale. « C'est une grande fierté, d'autant que c'est un titre majeur, sur l'une des trois compétitions les plus importantes dans la carrière d'un parabadiste. J'ai enfin vu tout le travail du quotidien payer de la plus belle des manières », confie la championne d'Europe de la catégorie SL3 (joueurs debout présentant une atteinte des membres inférieurs, La classification des athlètes paralympiques).

Une « victoire sur la vie »

La finale s'est jouée sur le fil. Menée 19/18 dans le dernier set, la jeune femme de 28 ans est allée chercher, « au plus profond d'elle-même », les trois points qui la séparaient du sacre. « Il n'aurait pas fallu un troisième set, je suis allée au bout de ce que je pouvais physiquement », raconte-t-elle avec le sourire. Bien plus qu'un titre, « je célèbre aussi une victoire sur moi-même, sur la vie et sur toutes les embuches qui ont rendu la préparation de cette compétition si compliquée », ajoute-t-elle.

Deux handicaps, un même combat

Milena vit avec une paraplégie spastique héréditaire, également appelée maladie de Strumpell-Lorrain. Cette affection neurologique rare, qui touche la moelle épinière, entraîne une perte progressive de force dans les jambes – et, dans de rares cas comme le sien, dans les bras – accompagnée de spasticité. « Sur le terrain, cela se traduit par des déséquilibres, des spasmes, des déplacements limités », explique-t-elle. Mais à ce handicap moteur s'ajoute un autre, invisible : l'autisme. Hypersensibilité sensorielle, difficultés dans les interactions sociales ou dans la gestion des imprévus : autant d'obstacles que la sportive doit apprivoiser à chaque compétition. « Mon autisme m'impacte plus que mon handicap moteur. Le bruit, la lumière, la fatigue, la nourriture… tous ces facteurs influencent mes performances », constate-t-elle.

Les compétitions, un défi sensoriel

Les tournois internationaux sont particulièrement rudes et énergivores. « C'est très compliqué. Cela me demande énormément d'efforts et de récupération. Je dors beaucoup et j'adapte mes journées pour passer le moins de temps possible dans le gymnase », explique Milena. Certaines expériences ont laissé des traces. « Au Brésil, la salle était juste à côté d'un aéroport. Les avions passaient toutes les cinq minutes, parfois si proches que je devais me boucher les oreilles au milieu des points… »

Une organisation au cordeau

Pour apprivoiser ces contraintes, la jeune femme a mis en place une organisation millimétrée. « Tout passe par l'anticipation : je prévois mes repas, j'apporte mes propres aliments, je dors seule alors que les autres joueurs partagent leur chambre. Je garde mon casque réducteur de bruit jusqu'à mon entrée sur le terrain, parfois même entre les sets », détaille-t-elle. Cette rigueur est devenue sa meilleure alliée. Mais elle déplore un manque d'adaptation de l'environnement sportif : « Les compétitions ne sont pas pensées pour des athlètes autistes, ce qui est certainement dû à une méconnaissance de ce trouble (non éligible au niveau paralympique), observe-t-elle. Et il y a très peu d'autistes au haut niveau car c'est un environnement sensoriel difficile à supporter. »

Tout quitter pour vivre le rêve sportif

Avant de se consacrer au para badminton, Milena menait une tout autre vie. Cheffe d'exploitation agricole en saliculture, elle décide en 2022 de tout quitter pour vivre son rêve sportif. « J'ai toujours voulu faire du sport de haut niveau. Quand j'ai enfin eu un diagnostic sur mes difficultés motrices, j'ai pensé : 'Je vais pouvoir faire les Jeux paralympiques !' » 

Après avoir débuté sa carrière en SL4 (handicap mineur des jambes) et remporté une médaille d'argent en Open International en 2022 et aux championnats d'Europe 2023, Milena Sureau joue aujourd'hui en SL3, regroupant les athlètes avec un handicap important aux jambes et jouant sur un demi-terrain. « Changer de catégorie, c'est changer de repères, de rythme, de stratégie. J'ai dû énormément travailler là-dessus, notamment en vidéo », explique la sportive.

Un titre en hommage

Ce titre européen porte aussi une valeur intime. « Ma meilleure amie est décédée cet été. Elle était mon âme sœur et mon mentor sportif. C'est grâce à elle que je me suis lancée dans ce sport. Elle m'a transmis les clés de mon système de performance actuel. » Les semaines précédant la compétition ont été éprouvantes : « J'étais loin des conditions optimales : peu de sommeil, mauvaise alimentation… Mais l'amour du sport me transcende. Sur le terrain, je voulais lui rendre hommage. » Son credo ? « Souvent touchée, jamais coulée. »

Un podcast pour sensibiliser

Désormais n°9 mondiale et n°2 française, Milena s'impose comme l'une des figures montantes du para-badminton tricolore. « Le sport occupe 100 % de mon quotidien. Je m'entraîne tous les jours, tout mon planning est dédié à la performance. » Mais, au-delà du jeu, la jeune femme souhaite sensibiliser. Avec son podcast Journal d'une parabadiste, elle dévoile les coulisses du sport de haut niveau. « Les gens voient les podiums, mais pas les galères, la fatigue, la logistique. J'ai voulu montrer la réalité du quotidien d'un athlète handisport, parler d'accessibilité, de bruit, de lumière - tous ces détails qui peuvent tout changer. »

Cap sur les Paralympiques !

À peine sa première médaille d'or autour du cou, Milena pense déjà aux prochaines... « Je veux gagner les Championnats de France en janvier et viser une médaille de bronze aux Mondiaux en février », annonce-t-elle. Mais son horizon est clair : l'or paralympique. « Je rêve de Los Angeles 2028. Je sais qu'il reste beaucoup de travail, mais chaque étape compte. » Et, à l'entendre, elle a déjà remporté l'essentiel : une victoire totale sur la résignation.

© Steve Matyja

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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