Par Jessica Lopez
Depuis trois ans, Emilie, 40 ans, fait tous les quinze jours l'aller-retour entre Paris et Perpignan pour s'occuper de son père accidenté. "Ca a été d'une violence absolue. Du jour au lendemain, accident de vélo et le voilà tétraplégique", témoigne cette cadre dans la communication. "Il était dynamique, faisait du sport, la cuisine, et maintenant il ne peut plus rien faire. Il n'a plus que ses deux filles et sa maison." L'administratif, les rendez-vous médicaux, l'entretien de la maison, la lessive, les courses, la banque, les aides à domicile et infirmières qui se succèdent à son chevet... Emilie gère désormais "deux vies à 1.000 kilomètres l'une de l'autre".
4 millions de salariés aidants
Selon les chiffres officiels, 8,3 millions de personnes, en France, aident régulièrement un proche en perte d'autonomie. Près d'un sur deux est salarié, soit environ quatre millions de personnes. Pour pouvoir s'absenter, la quadragénaire a d'abord posé des congés "mais j'ai vite été en négatif", poursuit Emilie, qui exclut de s'installer dans le Sud où sa "vie ne tournerait plus qu'autour de lui". "Mon patron a été conciliant et on s'arrange grâce au télétravail. Je ne suis pas moins performante mais je m'épuise pour tenir la barre et que ça ne se ressente pas sur mon travail. D'un côté comme de l'autre, j'ai l'impression de ne jamais en faire assez", lâche-t-elle.
A partir de 43,52 euros par jour
Pour ces salariés, le budget "de la Sécu", dévoilé le 30 septembre 2019, prévoit d'expérimenter à partir d'octobre 2020, et pour deux ans, l'indemnisation du congé proche aidant à hauteur de 43,52 euros par jour pour une personne en couple, 52 euros pour une personne isolée, le même barème que pour les congés de présence parentale (qui permet d'accompagner un enfant malade) et de soutien d'un proche en fin de vie. Créé en 2016, il permet aux aidants d'un proche âgé, reconnu au degré de dépendance GIR 1 à 3, ou handicapé avec un taux d'incapacité permanente de 80% ou plus, de réduire ou d'interrompre leur activité. L'indemnisation pourra être versée trois mois, fractionnables, pour l'ensemble de la carrière, et ouvrira des droits à la retraite, ce qui "représente un investissement de plus de 100 millions d'euros par an en année pleine", selon le dossier de presse du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Une "aide légitime"
"C'est une petite avancée", réagit auprès de l'AFP Florence Leduc, présidente de l'Association française des aidants. "C'était impensable qu'il y ait un congé mais pas rémunéré, c'est pour cette raison qu'il n'était pas pris", explique-t-elle. "C'est tabou mais on sait que quand on n'a pas le choix, ça finit en arrêt maladie". "Les aidants ne sont pas demandeurs de quitter l'entreprise, mais de solutions qui leur permettent de pouvoir concilier l'aide au travail, et de s'absenter si besoin", explique de son côté le sociologue Thierry Calvat, soulignant que le travail "est un puissant vecteur identitaire, protecteur". Pour le cofondateur du cercle "vulnérabilités et société", lui-même aidant d'un proche âgé, "ce congé est un signal sans doute important politiquement de prise en compte de la situation d'aidant, mais il montre aussi la nécessité pour les entreprises de s'adapter aux situations de vie". Néanmoins, "pour la même somme, ne pourrait-on pas plutôt développer davantage de solutions d'aide extérieure?", s'interroge-t-il. Car ce congé "ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt", préviennent dans un communiqué commun l'Association nationale des aidants et la fédération nationale Adessadomicile. Pour ces deux structures, cette "aide légitime" ne doit pas faire oublier que "le rôle des proches aidants est complémentaire de celui des aidants professionnels et ne peut se substituer à ces derniers".