Handicap.fr : Tout d'abord, qui sont ces « Nous aussi » dont vous êtes le président ?
Cédric Mametz : C'est une association nationale, une première en France, qui regroupe des personnes avec un handicap intellectuel et non pas des parents ou amis de… Elles ont décidé que les décisions les concernant ne seraient dorénavant plus prises sans elles, qu'elles seraient enfin auto représentées. « Nous aussi » a été créée il y a plus de 10 ans avec le soutien de l'Unapei (Union nationale des personnes handicapées mentales et de leurs amis). Nous comptons aujourd'hui 28 délégations dans toute la France.
H.fr : Cette année, c'est la violence faite aux personnes handicapées intellectuelles qui est au cœur des débats. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
CM : Parce que plus vulnérables, elles sont davantage exposées à la violence. La violence, c'est la discrimination, la maltraitance, l'exploitation. C'est en sachant comment se défendre et aussi en informant, en sensibilisant l'opinion publique sur leurs capacités et en valorisant leur image que les violences quotidiennes diminueront.
H.fr : Avez-vous, vous-même, été victime de violence ? Comment se manifeste-t-elle ?
CM : Ce sont rarement des agressions, le plus souvent des moqueries. Dans la rue, on se fout de moi, on me dévisage, on me regarde des pieds à la tête. J'entends des mots comme « Mongol » ou on me surnomme « Cotorep ». Ca n'arrive pas tous les jours mais ça fait mal quand même.
H.fr : Est-ce le quotidien des personnes avec un handicap intellectuel ?
CM : Je pense. J'ai parlé avec d'autres adhérents de l'association qui partagent mon avis. C'est difficile pour certains de prendre le bus ou d'aller dans des lieux publics car ils finissent par avoir peur et s'isolent. Moi aussi, je redoute parfois, lorsque je quitte ma maison, de tomber sur des « loulous ».
H.fr : Est-ce que les comportements évoluent tout de même de manière positive ?
CM : Oui, on ne peut pas nier que le regard porté sur les personnes différentes s'améliore, notamment grâce au travail des associations qui militent pour qu'on nous respecte. Mais les actes de maltraitance physique ou morale sont encore trop fréquents et ce n'est pas par hasard si nous consacrons une table ronde à ce sujet.
H.fr : Il y a eu, récemment, des vidéos postées sur le net où l'on voit une jeune fille avec un retard mental se faire gifler par une autre et un garçon, a priori autiste, se faire molester par trois autres dans un parc public…
CM : Je n'ai entendu parler que de la vidéo du jeune garçon. Je suis curieux, comme tout le monde, et je l'ai regardée. Je trouve ça scandaleux et inhumain. Trop de haine ! Comment s'en prendre à quelqu'un qui n'a rien fait sous prétexte qu'il est plus vulnérable ? Ca me met en colère, surtout contre les auteurs mais aussi contre les passants qui ne sont pas intervenus. En sachant que, si j'étais face à cette situation, je ne sais pas non plus comment je réagirais…
H.fr : Et dans les institutions ? Certaines ont fait la une des medias en 2014, en France comme en Belgique. Quel recours pour les résidents ? A qui s'adresser lorsqu'on n'a pas forcément de contact avec l'extérieur ?
CM : Les institutions sont des milieux fermés et on ne sait pas forcément ce qui s'y passe mais il ne faut pas généraliser. En très grande majorité, les professionnels sont dévoués, font bien leur travail et respectent les résidents handicapés pour leur permettre d'accéder à davantage d'autonomie. Mais, en cas de problème, c'est davantage l'Unapei qui est alertée. C'est aussi pour cette raison que nous avons choisi ce thème, pour récolter des témoignages et présenter les services et dispositifs en faveur de la bientraitance.
H.fr : Parfois, ne pas respecter l'intimité des résidents, c'est aussi une forme de violence…
CM : Oui, c'est une question que nous abordons aussi au sein de notre association. Ce respect de l'intimité est primordiale, quel que soit le degré de déficience et de conscience. Mais, heureusement, la formation des professionnels du médico-social a évolué dans ce sens et la question du respect de la dignité est maintenant abordée, notamment avec l'émergence d'associations de personnes auto-représentées comme la nôtre. Nous sommes de plus en plus écoutés et sollicités et intervenons depuis plusieurs années en tant que formateurs auprès de ces professionnels.
H.fr : Il existe un numéro vert, le 3977, dédié à la maltraitance des personnes handicapées. Ces dernières le connaissent-elles ?
CM : Oui, je crois que beaucoup connaissent ce numéro. Dans l'ESAT où je travaille, par exemple, il est affiché sur le panneau d'information des ouvriers. Il est également diffusé auprès des associations de parents. Mais c'est aussi le but de notre congrès : le faire connaître à nos participants. On en attend entre 400 et 600, personnes handicapées, parents, professionnels…
H.fr : En quoi consiste le jeu Tom & Léa que vous allez présenter ?
CM : Il a été créé par l'association Anaïs et invite les personnes handicapées, les principaux joueurs, à parler entre eux, à travers des mises en situation diverses, de leur vie quotidienne, de leurs joies, de leurs peines, parfois de leur souffrance. Le jeu devient un lieu d'expression libre, qui permet de verbaliser ses blessures mais aussi de prendre conscience, grâce à l'encadrement du professionnel, de ce qui relève de la bientraitance ou de la maltraitance.
H.fr : Ce congrès abordera également deux autres thèmes : l'autonomie mais aussi la vie de couple. Comment voyez-vous l'avenir pour les personnes avec un handicap intellectuel dans ces domaines ?
CM : On va dans le bon sens. Les associations ont compris que nos vies n'étaient plus les mêmes qu'il y a trente ans et qu'avec les services mis en place pour favoriser notre autonomie, nous pouvions vivre comme tout le monde. Dans notre foyer de vie par exemple, il y a des gens qui viennent pour parler de sexualité et de vie en couple.
H.fr : C'est pourtant encore un sujet très tabou et, dans de nombreux établissements, les relations entre résidents sont interdites…
CM : Oui, vraiment tabou, même si on en parle un peu plus dans les medias et si pas mal d'associations organisent des colloques sur ce sujet. Mais il est vrai que certains règlements intérieurs sont encore trop stricts. Dans mon foyer, il y a néanmoins des couples qui partagent un même appartement.
H.fr : Et pour vous ?
CM : Je vis en couple depuis trois ans, dans notre propre maison. Ma compagne a deux enfants de 9 et 13 ans dont je m'occupe. Même si je n'ai pas le titre de père, j'en ai le rôle et je participe donc à leur éducation et à leur bien-être ! Comme tout le monde…