« La violation des droits des personnes en situation de handicap et de leurs familles par la France est établie. » Le Comité européen des droits sociaux (CEDS), institution du Conseil de l'Europe, a tranché. Manque de places en structures d'accueil -ce qui contraint des centaines d'entre elles à s'exiler en Belgique-, insuffisance des aides financières, inaccessibilité des bâtiments… « La liberté et la dignité des personnes en situation de handicap sont entravées », affirme-t-il, dans une décision rendue en décembre 2022 mais dévoilée publiquement le 17 avril 2023, après quatre mois d'embargo. « Une décision majeure qui pourrait être révolutionnaire si elle était bien appliquée par l'exécutif », affirme Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), qui souhaite mettre l'Etat face à ses responsabilités.
Suite d'une réclamation collective datant de 2018
Cette décision fait suite à une réclamation collective déposée en 2018 auprès du CEDS par APF France handicap, la FNATH (association des accidentés de la vie), l'Unapei et l'Unafam, qui œuvrent respectivement en faveur des personnes avec un handicap mental et psychique. Si les quatre associations saluent cette décision, se disant « fières que leur travail aboutisse enfin », elles espèrent toutefois qu'elle ne « demeure pas un énième rapport oublié sur la politique du handicap ». Elles reprochent notamment aux gouvernements successifs une « conception erronée du handicap, centrée sur le soin plutôt que les droits » et sur des mesures « d'aumône sociale ». Ainsi, elles soulignent l'impérieuse nécessité de réformer la politique du handicap de notre pays dans sa globalité et exigent des « mesures immédiates » pour mettre fin à des « injustices intolérables ». L'objectif ? Permettre aux personnes handicapées de bénéficier des mêmes droits que les autres citoyens afin de vivre une vie « digne, autonome et choisie ». « Il y a urgence ! En 2023, les injustices et les discriminations doivent prendre fin », insiste Luc Gateau, président de l'Unapei.
Accompagnement et compensations insuffisants
L'Hexagone est, plus précisément, accusé de ne pas respecter plusieurs articles de la Charte sociale européenne, un texte international juridiquement contraignant, garantissant les droits sociaux et économiques fondamentaux, que les Etats s'engagent à respecter après sa ratification. La France a signé la Charte révisée en 1996 et l'a ratifiée en 1999. Or, dans sa longue décision argumentée, le CEDS énumère plusieurs manquements dans six domaines clés. En tête de liste : l'accompagnement, avec encore « trop de personnes sans solution adaptée ». Face à ce constat, les associations réclament des chiffres et des données fiables permettant de connaître les besoins, de les quantifier et d'élaborer des plans d'action pour y répondre, notamment via « un observatoire des besoins » et un fonds spécifique. Deuxième point : l'insuffisance des ressources et compensations. Le niveau de vie des personnes en situation de handicap est, bien souvent, inférieur à celui du reste de la population, ce qui constitue « une profonde injustice socio-économique », pointent les associations. Elles demandent, à ce titre, la revalorisation financière de leurs allocations, prestations et compensations pour éviter les ruptures de parcours.
L'accessibilité et la santé à revoir
Le Conseil de l'Europe confirme également que le principe d'accessibilité, prévu dans la loi depuis 1975 et 2005, n'est toujours pas respecté. Pire, les obligations de l'Etat et de ses services en matière d'accessibilité ont, selon lui, « régressé dans tous les domaines, et les nouvelles réglementations décalent indéfiniment la mise en accessibilité réelle »… Les associations exigent que les acteurs publics et privés travaillent de concert pour mettre en accessibilité l'ensemble des chaînes de déplacement et permettre aux personnes, quel que soit leur handicap, d'accéder aux services publics et aux transports, ainsi qu'à des logements adaptés. Pour cela, il semble essentiel de faire évoluer le bâti, mais aussi la signalisation et les informations. En matière de santé, l'accès aux soins est notamment limité et les cas de refus de soins « élevés ». Pour les associations, l'offre de soins, dans son ensemble, doit être adaptée à tous les handicaps, sans reste à charge pour les personnes, accessible dans un délai raisonnable.
Education et protection des familles
Est également pointée l'insuffisante inclusion des élèves handicapés dans les écoles dites ordinaires. Les associations réclament l'accès à l'éducation pour tous, mais surtout une réflexion globale sur l'accessibilité du système scolaire et son caractère réellement inclusif, incluant l'adaptation de la pédagogie, des outils, du matériel et le rythme des journées. « Cela nécessite de former et de soutenir les enseignants en les dotant de tous les moyens nécessaires », précise Luc Gateau.
Dernier « manquement » abordé ? La protection des familles, dont la vie personnelle et professionnelle est encore « trop souvent impactée par le manque d'accessibilité généralisé et d'accompagnements spécialisés ». « Les aidants, qui doivent bien souvent modifier, voire cesser, leur activité professionnelle, sont touchés par des pertes de droits (congés, retraite...) et se retrouvent précarisés », déplore Roselyne Touroude, vice-présidente de l'Unafam. Elle souhaite vivement que la France « se mette en conformité avec ses engagements et sa propre législation afin de lever les obstacles qui créent et aggravent les situations de handicap dans la société ».
Des décisions attendues lors de la Conférence nationale du handicap
Selon le comité, tous ces obstacles ont des conséquences négatives sur la vie de nombreuses familles, qui pallient les manques au détriment de leur équilibre physique, psychique, économique, professionnel et les conduisent à vivre dans des « conditions précaires ». Les associations exigent donc que les recommandations émises soient traduites « sans délai en politiques publiques cohérentes, coordonnées, chiffrées ». Elles disent notamment attendre beaucoup de la prochaine Conférence nationale du handicap (CNH), prévue le 26 avril 2023 à l'Elysée (Lire : Conférence nationale du handicap : 26 avril 2023 à l'Elysée). « Je n'imagine pas la France ne rien faire » après cette décision du Conseil de l'Europe, « c'est inenvisageable », martèle Pascale Ribes. D'ici là, les associations promettent de poursuivre leurs actions, notamment via leur campagne « Pas si douce France » qui dénonce « un retard unique sur le sujet du handicap ». Pour parvenir à leurs fins, elles n'hésiteront pas à « faire pression sur les décideurs politiques, dans le cadre de la CNH mais aussi jusqu'au plus haut sommet de l'Etat et auprès des élus locaux, des parlementaires ». « Nous sommes plus que jamais déterminés à construire une société vraiment inclusive et respectueuse des droits de chacun, sans exception, concluent-elles. Il y a beaucoup de travail à faire mais, ensemble, c'est possible. Nous y parviendrons. »
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