« Nous manquons d'un projet de production et de diffusion de savoirs dans le domaine du handicap ! ». C'est ce qu'affirme, à plusieurs voix, dans son tout dernier livre, « Handicap, une encyclopédie des savoirs. Des obscurantismes à de Nouvelles Lumières », (publié en novembre 2014 aux éditions Erès), Charles Gardou, professeur d'université qui consacre ses travaux à la diversité humaine et à la vulnérabilité. « Cette carence contribue, écrit-il, à fausser la lecture et la prise en compte de cette réalité humaine ». Il réunit donc des savoirs issus des sciences biomédicales, humaines et sociales comme des sciences de l'ingénieur, de l'information et de la communication, afin de les mettre au service des pratiques.
Son ouvrage, qui est une invite à une responsabilité effective, à la fois scientifique, éducative, sociale, politique et morale, s'accompagne de quatre propositions aux Pouvoirs publics. Il souhaite les voir largement partagées et ouvertes à débat. Ainsi, après leur présentation lors d'une séance du CESE (Conseil économique social et environnemental), il en fait part à nos lecteurs.
1. Un serment éthique pour un engagement de tous les acteurs éducatifs
« Aucune société ne progresse en humanité sans, très tôt, apprendre à ses membres qu'il y a autant de grandeur à vivre avec un corps ou un esprit marqué par une blessure que préservé de cette fragilité surajoutée (…). Il importe de redonner à l'éducation toute sa profondeur existentielle et sa valeur éthique, mais cela exige des acteurs éducatifs conscients de cette nécessité. A cette fin, nous proposons de concevoir une organisation qui signifie clairement l'engagement du système éducatif et de l'ensemble de ses membres. Elle veillerait au respect des exigences professionnelles et déontologiques, traduites par un serment éthique. A l'instar de celui d'Hippocrate, principe de base de la déontologie médicale, ce serment engagerait tout acteur éducatif à prendre en compte la question du handicap dans l'ordinaire de son exercice professionnel, à apporter une égale attention à tous les enfants, en situation de handicap ou non ».
2. Une obligation de formation pour une évolution des cultures professionnelles
« Comment agir sur les subcultures professionnelles sans leur offrir une formation, tant initiale que continue ? Peut-on attendre qu'elles s'ouvrent à cette problématique, sans les doter des moyens nécessaires en édictant une obligation formative ? Aussi, suggérons-nous la création d'un groupe national « Savoirs, formation et handicap », dont la mission serait de procéder au recensement des pratiques de formation existantes, des conditions qui les favorisent ou les entravent (organisation institutionnelle, modalités réglementaires, spécificités professionnelles…) et d'évaluer leur adéquation ou leur désajustement. Il aurait à inventorier les besoins par champ professionnel afin de définir une matrice formative, composée d'un tronc commun interprofessionnel et d'arborescences par branches d'activités, professions et métiers. »
3. Des Entretiens scientifiques pour une actualisation des savoirs
« Nous manquons d'un grand rendez-vous scientifique régulier, à portée nationale et internationale, pour nourrir la construction du savoir, conçue comme un processus collectif et ouvert. La communication des connaissances produites n'est-elle pas l'une des tâches essentielles du scientifique ? Sans cette circulation, de l'énergie inutile se perd, des erreurs se renouvellent. Aussi pensons-nous pertinent d'instaurer des Entretiens sur le handicap, à l'instar de ceux de Bichat en médecine, pour faire un point régulier sur les grandes avancées des savoirs et des pratiques en ce domaine. En suscitant des échanges entre les champs disciplinaires, ils permettraient d'assurer une impulsion scientifique, de confronter les travaux et recherches, d'interroger les concepts, contextes, pratiques, dispositifs, politiques ou innovations et de les mutualiser ; et de diffuser des savoirs actualisés ».
4. Un Haut conseil national de la politique du handicap
« Pour accompagner une politique cohérente et pérenne, une "instance de synthèse" se révèle aujourd'hui nécessaire compte-tenu de la richesse et de la multiplicité des initiatives associatives. En conséquence, nous préconisons la mise en place d'un Haut conseil national de la politique du handicap. Rassemblant un petit nombre de personnalités, en situation de handicap ou non, issues de divers champs de compétence et complétant la représentation associative du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), il serait chargé de formuler des propositions, dans les domaines de l'autonomie et de la citoyenneté, de la santé, de l'éthique et de la déontologie, de la vie familiale, de la vie professionnelle, de la scolarisation, de la vie artistique et culturelle, du sport et des loisirs. Mais aussi veillerait à une prise en compte systématique de la dimension du handicap, assortie de mesures compensatoires, dans toutes lois et politiques de droit commun, en lieu et place de textes législatifs spécifiques, prospecterait pour de nouvelles réformes et suggérerait des actions susceptibles d'agir sur l'ensemble de la société. »