« Les mesures qui consistent à restreindre nos libertés pour obtenir le recul et la fin de la pandémie doivent être nécessaires et proportionnées », alerte Jacques Toubon, le Défenseur des droits (DDD) qui constate que « les inégalités deviennent encore plus criantes avec l'état d'urgence ». Refus de paiement en espèces, fermeture des bureaux de poste, difficultés d'accès à certains supermarchés, victimes de violences rendues invisibles… Entre le 16 mars et le 1er juin 2020, le DDD a reçu 1 424 saisines liées à la crise sanitaire. Le 8 juin 2020, il publie une synthèse des actions menées durant cette période, assurant avoir porté « une attention particulière aux personnes handicapées, aux groupes sociaux les plus vulnérables et au respect des droits des enfants ».
Démineur de discriminations
Malgré une activité réduite de moitié depuis le mois de mars, le DDD a joué son rôle de « démineur des discriminations de la vie quotidienne » au plus fort de l'épidémie, assure M. Toubon, évoquant notamment les appels à rouvrir les guichets de demande d'asile, à désengorger les prisons face au virus ou à adapter l'attestation de sortie aux personnes handicapées. Dès l'annonce du confinement, il a alerté le gouvernement sur les difficultés propres aux personnes en situation de handicap et sur les risques de discrimination « face à l'insuffisante prise en compte de la réalité multiforme du handicap dans la gestion de la pandémie ». Concernant l'accès des personnes handicapées à l'hospitalisation et aux soins de réanimation, il a ainsi soutenu à plusieurs reprises la portée du principe d'égal accès aux soins : « Les modalités de prise en charge sanitaire doivent reposer sur des critères médicaux et être fondées sur une évaluation individuelle, au cas par cas ».
Fermeture des bureaux de poste
« Durant cette crise, l'importance stratégique des services publics, dont le DDD a régulièrement eu l'occasion de regretter l'évanescence progressive, est apparue plus prégnante que jamais, et la qualité des échanges avec les administrations s'est révélée décisive pour atténuer, chaque fois que c'était possible, les atteintes aux droits », observe-t-il par ailleurs. Le DDD a, tout d'abord, écrit au président de La Poste et au gouvernement concernant les conséquences de la fermeture des bureaux de poste pour les personnes précaires et vulnérables demandant le versement des aides sociales auxquelles elles peuvent prétendre par mandat. Sont concernées notamment les personnes majeures sous tutelle contraintes, faute de carte bancaire, de retirer les prestations qu'elles reçoivent au guichet, ainsi que certaines personnes en situation de handicap (article en lien ci-dessous). Le 14 avril, le PDG de La Poste a répondu avoir augmenté le nombre de bureaux ouverts, et assuré la perception des prestations sociales de 1,5 million de personnes.
Des supermarchés peu accessibles
Autre problématique : le refus d'accès à des supermarchés à l'égard des personnes en situation de handicap accompagnées pour faire leurs courses (article en lien ci-dessous). Le DDD a donc interpellé la secrétaire d'Etat chargée du Handicap, Sophie Cluzel, qui lui a assuré qu'un rappel serait « fait auprès de l'ensemble des enseignes, des référents accessibilité des préfectures et des représentants des agents d'accueil afin de leur rappeler qu'une dérogation est possible pour les personnes en situation de handicap, tout comme pour les familles monoparentales ». En outre, 70 réclamations relatives au refus de certains commerçants d'accepter le paiement en espèces, privilégiant le système électronique qui ne nécessite pas de contact entre le caissier et le client, ont été portées à son attention. Les majeurs protégés, ainsi que les personnes en situation de précarité sociale ou économique qui ne disposent pas de tous les moyens de paiement classiques se trouvant alors privés des produits de première nécessité. Or, « le refus de paiement en espèces dans les commerces ne fait pas partie des mesures restrictives détaillées dans la loi du 23 mars 2020 relative à l'état d'urgence sanitaire », indique le DDD.
Adapter les attestations de déplacement
Il a également mis en exergue la nécessité d'aménager les conditions de sortie durant le confinement de ceux qui ne peuvent « matériellement accéder aux consignes, les comprendre ou en respecter les modalités formelles », comme certaines personnes en situation de handicap, notamment non-voyantes, ne pouvant produire d'attestation, mais aussi les personnes sans domicile fixe ou étrangères ne maîtrisant pas le français. Sophie Cluzel a ensuite annoncé que l'attestation n'était pas nécessaire pour les personnes déficientes visuelles sous condition de présenter un justificatif du handicap, puis plus largement « pour les personnes handicapées dont le handicap le justifie ». Des attestations en « Facile à lire et à comprendre » (FALC) ont également été mises à disposition.
Rapport annuel d'activité 2019
« Garantir la sécurité sanitaire du plus grand nombre ne doit pas conduire à insérer ce régime de façon pérenne dans le droit commun à l'issue du déconfinement », avertit le DDD, toujours échaudé par la transposition dans la loi en 2017 de certaines mesures de l'état d'urgence décrété après les attentats de 2015. Alors qu'il publie son rapport annuel d'activité 2019 intitulé « Préserver les droits et libertés en toutes circonstances », il espère que la crise sanitaire, après avoir accentué les inégalités, « conduira à un meilleur accès aux droits ».