Comme tous les lundis, Karine Mialon va faire ses courses. Mais ce 16 mars 2020 est loin d'être comme les autres... Le mot « confinement » est dans toutes les bouches, le Coronavirus fait rage, de nombreux Français se ruent dans les supermarchés, en quête de provisions. Une queue démesurée s'étend sur plusieurs dizaines de mètres devant l'entrée du magasin Auchan de Dardilly, près de Lyon. Amassés, « les clients ne respectent pas les mesures barrières imposées par le gouvernement », constate Karine. Atteinte de problèmes pulmonaires et neurologiques, cette informaticienne ne peut rester debout très longtemps. Elle s'approche, « à plus d'un mètre », des agents de sécurité et présente sa carte mobilité inclusion qui comporte la mention « priorité » et fait donc office de « coupe-file »... en temps normal. « Compte-tenu des circonstances actuelles et de la foule, personne n'est prioritaire », lui rétorquent-ils. Un premier refus « catégorique » mais pas le dernier...
Panique générale
Désabusée et un brin humiliée, Karine « ne sourcille pas » et tente sa chance, quelques heures plus tard, au Carrefour d'Ecully (Rhône). Même réponse : « impossible ». « Choquée », elle demande à parler à un responsable qui décline, à son tour, sa demande au motif que cette situation a créé une esclandre le matin-même. « Ce n'est pas à moi d'en payer le prix, vous n'avez qu'à embaucher plus de vigiles pour faire respecter les règles », répond la jeune femme au salarié « bien remonté ». Karine capitule. « En ce moment, c'est la panique générale. Les gens ne veulent pas que l'on passe devant eux par peur que l'on prenne le dernier paquet de pâtes ou l'ultime rouleau de papier toilette... », se désespère-t-elle. Le lendemain, elle se rend chez Grand Frais, bien décidée à faire appliquer la loi. Bingo ! « Les quelques personnes qui faisaient la queue m'ont proposé, eux-mêmes, de me laisser passer, après m'avoir vue stationner sur la place handicapé », se réjouit Karine. De retour chez elle, elle interpelle la secrétaire d'Etat au Handicap, Sophie Cluzel, sur Twitter, sans réponse.
Un acte « surprenant » et « anormal »
Contactés par nos soins, le secrétariat d'Etat a répondu que cette situation était absolument « anormale », tandis que le coordinateur sécurité du premier magasin assure ne pas avoir eu vent de cet incident et se dit « surpris » car les consignes reçues sont « radicalement opposées ». « Nous avons reçu l'ordre de laisser passer les personnes handicapées en priorité et même de les accompagner jusqu'à l'entrée du magasin pour qu'elles puissent accéder à la surface de vente », précise-t-il. Même « étonnement » de la part de l'équipe de Carrefour. « Je suis moi-même resté plusieurs heures à l'entrée du magasin et nous faisions passer les personnes âgées, handicapées et mêmes celles qui semblaient très fatiguées, en priorité », assure le contrôleur de gestion, réquisitionné pour gérer l'afflux massif de clients, qui se dit « offusqué » par cet incident. « Ça me peine parce que c'est déjà suffisamment difficile d'avoir un handicap, quel qu'il soit, donc je ne comprends pas que l'on refuse une aide auxquelles les personnes concernées ont droit », ajoute-t-il avant de promettre d'en « parler aux équipes et de les sensibiliser davantage au handicap, notamment invisible ».
Des horaires réservés
Pour éviter ce type d'incidents, certaines enseignes, en France comme dans d'autres pays, ont mis en place des horaires réservés aux personnes fragiles (âgées, handicapées, femmes enceintes), mais le plus souvent le matin entre 7h30 et 8h30. Une « bonne option » selon Karine Mialon, à condition de proposer des horaires « appropriés ». « Je ne peux pas m'absenter à n'importe quelle heure, même en télétravail », explique-t-elle. En Angleterre, par exemple, parce que les réseaux de livraison à domicile sont saturés et ne peuvent pas proposer de créneaux avant 3 à 4 semaines, l'enseigne Sainsbury's va aussi donner un accès prioritaires à ces publics.
« Depuis le 17 mars à 14h, la cohue s'est dissipée, tout est rentré dans l'ordre », indiquent les responsables des deux magasins contactés. Jusqu'à la prochaine car, dans certaines villes, les queues continuent de s'allonger... Il faudra alors garder en mémoire que, même en temps de crise, les règles de priorité et les droits des personnes en situation doivent être respectés.