Quels liens entre le secteur de la production de béton et de ciment et celui de l'autonomie en France ? A priori aucun. Pourtant, leur empreinte carbone est peu ou prou similaire. Elle représente 1,3 % des émissions françaises. C'est ce qui ressort d'un webinaire organisé le 26 septembre 2023 par le think tank « The shift project », engagé dans la transition énergétique (Lire : Handicap et écologie: un webinaire pour "verdir" le secteur). Pourquoi s'intéresser à ce sujet précis ? Parce que le champ de l'autonomie « joue, comme d'autres secteurs, un rôle dans la dégradation du climat et de la biodiversité », rapporte The shift project. L'objectif de cette réflexion menée en partenariat avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et l'Ecole des dirigeants de la protection sociale (EN3S) : « Décarboner la santé pour soigner durablement ».
Les postes qui émettent le plus de C02
L'alimentation représente le poste le plus émetteur de CO2 (27 %). Un milliard de repas sont ainsi ingérés chaque année dans les établissements pour personnes âgées et pour adultes et enfants handicapés. Viennent ensuite les immobilisations, soit les bâtiments et équipements médicaux lourds (19 %), puis les déplacements professionnels (17 %) ou encore les sources fixes de combustion (14 %). A ce titre, on apprend que 140 millions de litres de fioul sont consommés chaque année dans les établissements de l'autonomie, l'équivalent de 55 500 piscines olympiques. « Le champ est immense : il faudra être audacieux pour répondre aux besoins d'aujourd'hui », commente Noémie Le Clech, gériatre au centre hospitalier de Lisieux (Calvados).
L'autonomie, en 1ère ligne du changement climatique
Premier constat : l'autonomie est particulièrement exposée aux effets du changement climatique. Parce qu'elles sont plus sujettes à des pathologies chroniques préexistantes, à une mobilité réduite, à un besoin de médication et un accès au soin quotidien, les personnes âgées et en situation de handicap sont davantage vulnérables face à la multiplication des épisodes caniculaires et des catastrophes naturelles. Un phénomène couplé à une autre donnée démographique : le vieillissement de la population et l'augmentation des maladies chroniques qui renforcent la pression sur le secteur.
Un changement démographique à prendre en compte
Le rapport, consultable en ligne, relève que le nombre de personnes handicapées bénéficiaires d'aides sociales est passé de 114 000 à 152 000 bénéficiaires environ entre 2008 et 2018, soit une augmentation de 34 %. Résultat, le nombre de structures dédiées, de places et d'adultes accompagnés ne cessent de croître. « Si le secteur ne réagit pas rapidement, il pourrait paradoxalement contribuer à la dégradation de la santé de la population qu'il a pourtant pour mission d'accompagner », constatent les rédacteurs du rapport. « La transition écologique ne peut se faire sans prendre en compte les limites planétaires et la justice sociale », ajoute de son côté Patrick Janning, gérant d'Axeo services, une société de services à domicile.
Repenser le modèle tarifaire
Réduction de la consommation des médicaments, formation des équipes en matière d'éco-responsabilité, diminution du gaspillage alimentaire, toilettes plus écologiques avec une réduction de la consommation d'eau, optimisation des temps de trajet ou encore développement de filières d'approvisionnement local sont autant de pistes évoquées à l'occasion de ce webinaire. La décarbonation passe aussi par une réflexion autour de la prévention, et notamment le maintien à domicile le plus longtemps possible puisque « le coût carbone par jour d'une personne en établissement et d'une personne chez elle passe du simple au quadruple », explique Olivier Baron, directeur général de l'Association laïque pour l'éducation, la formation, la prévention et l'autonomie (Alefpa). Mais tout cela a un coût. « Il s'agit de repenser le modèle tarifaire pour atteindre les Accords de Paris (sur le climat, ndlr) et configurer un schéma de pilotage territorial », propose Vanessa Wisnia-Weill, directrice du financement de l'offre à la CNSA. The shift project, la CNSA et l'EN3S espèrent ainsi pouvoir plancher sur des scénarios de décarbonation à partir du premier trimestre 2024.