8 juin 2022 à 23h59, ultime jour pour la déclaration d'impôts sur le revenu pour les derniers départements... En ligne, forcément. Or, à quelques jours de la date buttoir, la Fédération des aveugles de France (FAF) dénonce. « Aucune solution n'a été mise en place pour rendre accessible le portail officiel impots.gouv.fr », constate l'association, qui juge cette situation « inexcusable » au motif qu'un « des services essentiels de l'Etat, totalement dématérialisé, est partiellement inaccessible pour une partie des citoyens français ». Il est pourtant écrit en page d'accueil « L'impôt s'adapte à votre vie » !
Anne Renoud, sa présidente, s'indigne : « Une personne en situation de handicap visuel n'est pas en mesure d'être en autonomie pour déclarer ses impôts, ce qui est pourtant le premier acte citoyen ». « Bien sûr nous pourrions demander à un conjoint ou un voisin de nous aider. C'est ce que nous faisions à l'époque de la déclaration papier, a-t-elle poursuivi. L'avènement du numérique a été un grand espoir pour les aveugles et malvoyants, celui de faire les choses par nous-mêmes, ce qui est extrêmement important. Ce n'est pas le cas, et c'est très frustrant ». Elle-même a dû faire appel à sa fille car son logiciel de synthèse vocale a buté sur une case à cocher, indétectable.
Impôts mais pas que...
Alors que la quasi-totalité des services gouvernementaux est aujourd'hui dématérialisée, une grande partie des sites de télédéclaration présente une accessibilité « non conforme » selon la réglementation du RGAA (Référentiel général d'amélioration de l'accessibilité). Après une première étude menée par l'association BrailleNet en 2014 qui révélait l'absence de connaissance des obligations légales pour l'accessibilité numérique par les institutions publiques, la FAF a décidé de dresser un nouvel état des lieux. Le constat est sans appel, jugé « sidérant ». Sur les 72 sites nationaux, 28 indiquent un niveau de conformité sur la page d'accueil, dont seulement 11 % déclarent être « totalement conformes ». Autrement dit, seuls 3 sites sur les 72 analysés seraient réellement navigables pour les personnes en situation de handicap.
Une prochaine refonte ?
La Direction générale des Finances publiques a souligné que certaines de ses démarches en ligne, comme la rubrique « gérer mes biens immobiliers », était totalement accessible aux personnes aveugles. En revanche, la télédéclaration de l'impôt sur le revenu est « un service complexe et sensible », a-t-elle reconnu. Des travaux sont en cours en vue d'une « prochaine refonte » du portail numérique, promettant une « meilleure expérience utilisateur », y compris à destination des personnes handicapées, a-t-elle ajouté. En attendant, les personnes concernées peuvent se « faire accompagner par un agent sur un ordinateur dans un centre des finances publiques » ou au téléphone, via un numéro non surtaxé (0 809 401 401).
Une position ubuesque
La loi du 11 février 2015 avait pourtant rendu l'accessibilité numérique obligatoire. Dix-sept ans après, la FAF estime que « le gouvernement n'a déployé aucune mesure d'envergure en ce sens ». A l'heure du tout numérique, elle ajoute qu'une « personne déficiente visuelle se retrouve par conséquent dans une position ubuesque ; elle devra justifier de son irrégularité alors même que celle-ci a été entraînée par l'impéritie du gouvernement ». Le Défenseur des droits tire, lui aussi, la sonnette d'alarme dans son rapport de février 2022, pointant les défaillances de la dématérialisation des services publics. Sur la Toile, seules 40 % des démarches administratives sont accessibles aux personnes handicapées (contre 12 % en 2019), selon l'institution, qui formule 38 recommandations (article en lien ci-dessous).
Les sites privés aussi...
Ce constat, amer, vaut aussi pour de nombreux sites privés. Les personnes aveugles galèrent, mettant parfois des heures à valider un panier de courses ou réserver un billet de train (article en lien ci-dessous). Fin 2021, huit internautes pointaient du doigt des grandes marques, demandant au gouvernement d'appliquer les sanctions prévues. En l'absence de réaction, les signataires promettaient d'agir en justice en allant « cliquer » à la porte du Conseil d'Etat.