Et si la maladie d'Alzheimer imprimait sa marque chez l'embryon ? Des chercheurs de l'Institut du Cerveau montrent que la protéine précurseur de l'amyloïde (APP) possède un rôle biologique spécifique lors du neurodéveloppement ; elle retarde le début de la neurogenèse, c'est-à-dire de la différenciation des cellules souches en différentes lignées de cellules nerveuses, qui commence chez le fœtus à partir de cinq semaines de gestation et est presque achevée vers 28 semaines. Jusqu'ici, les chercheurs ignoraient comment cet équilibre entre prolifération des cellules souches et différenciation en plusieurs types cellulaires était régulé. Pour mieux comprendre comment notre cerveau est façonné au cours de cette période clé, les chercheurs* ont mené l'enquête… Il apparait que de subtiles perturbations de ce mécanisme pourraient, chez certains individus, induire des vulnérabilités qui ne se révèlent qu'à l'âge adulte après un stress biologique de plusieurs dizaines d'années. La maladie d'Alzheimer pourrait alors être considérée comme un trouble du neurodéveloppement… à la manifestation particulièrement tardive. Ces résultats sont publiés le 6 juin 2023 dans Science Advances.
APP, chef d'orchestre de la production neuronale
Le rôle régulateur de l'APP est essentiel dans le neurodéveloppement de notre espèce ; pour se former, notre cerveau a besoin de générer d'énormes quantités de neurones pendant une période très longue et selon un plan bien précis -les chercheurs ont observé que le processus n'était pas le même chez la souris où la neurogénèse est très rapide-. Donc, chez l'humain, « des anomalies liées à l'APP pourraient provoquer une neurogenèse prématurée et un stress cellulaire important, dont les conséquences seraient observables plus tard, propose Bassem Hassan, chercheur au sein de l'Inserm. D'ailleurs, les régions cérébrales dans lesquelles apparaissent les signes précoces de la maladie d'Alzheimer sont aussi celles dont la maturation est la plus longue au cours de l'enfance et de l'adolescence. »
Même si le diagnostic des maladies neurodégénératives est généralement posé entre 40 et 60 ans, les chercheurs estiment que les signes cliniques apparaissent plusieurs décennies après le début du déclin de certaines connexions et populations neuronales. Cette perte de connectivité serait elle-même le reflet d'anomalies à l'échelle moléculaire présentes dès l'enfance, ou même plus tôt.
Propre à l'espèce humaine
De nouvelles études seront nécessaires pour confirmer que l'APP tient une place centrale dans des perturbations du neurodéveloppement qui font le lit de la maladie d'Alzheimer. Auquel cas, on pourrait considérer que « ces perturbations conduisent à la formation d'un cerveau qui fonctionne normalement à la naissance, mais est particulièrement vulnérable à certains événements biologiques -comme l'inflammation, l'excitotoxicité ou les mutations somatiques- et certains facteurs environnementaux tels que l'alimentation, le sommeil, les infections, etc., complète le chercheur. Avec le temps, ces différents stress pourraient installer une neurodégénérescence, phénomène propre à l'espèce humaine et rendu particulièrement visible par l'allongement de l'espérance de vie. »
* Khadijeh Shabani et ses collègues de l'équipe « Développement du cerveau » dirigée par Bassem Hassan (Inserm)