Elèves harceleurs : un amalgame risqué avec le handicap?

Un décret d'août 2023 qui permet d'exclure des élèves harceleurs sème le trouble. En cause, un amalgame fait par un syndicat de directeurs d'école avec les enfants à besoins spécifiques. Ne pas confondre harcèlement et troubles du comportement !

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Un décret prévu à l'origine pour lutter contre les élèves harceleurs pourrait-il être instrumentalisé au détriment des enfants à besoins spécifiques ? Publié le 17 août 2023, et s'inscrivant dans la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyber harcèlement promue grande cause de l'année 2023-2024 par le gouvernement, il permet en effet à compter de la rentrée 2023 d'exclure un élève perturbateur pour une durée maximum de 5 jours si son comportement intentionnel et répété fait peser un risque sur la santé ou la sécurité d'un autre élève et de demander sa radiation au DASEN (directeur académique des services de l'Education nationale) si son comportement persiste. Jusque-là, rien à redire…

Une extrapolation dangereuse ?

Mais c'est l'extrapolation qu'en fait le Syndicat des directrices et directeurs d'Ecole ou #S2Dé qui interpelle. Car voici sa réaction publiée sur son site : « Même si cette exclusion possible cache le manque cruel de places dans des établissements médico-sociaux et la présence en conséquence dans nos écoles d'élèves qui devraient y être accueillis, nous estimons qu'il sera désormais possible avec cette mesure de permettre véritablement la sécurité de nos élèves et de nos équipes ». Elèves du médico-social, donc potentiellement en situation de handicap ? Nous avons posé la question à ce nouveau syndicat créé en 2021 qui, après une première approche, n'a plus souhaité poursuivre la conversation…

Ne pas confondre troubles du comportement et harcèlement

Deux questions se posent. N'y a-t-il pas un risque de dérive pour certains enfants avec des troubles du comportement ? Selon André Masin, président d'AFG autisme, « ce syndicat fait quelques raccourcis et s'inspire de la notice qui résume le texte. Or il sort du contexte en assimilant les troubles du comportement d'un enfant handicapé à celui d'un autre enfant qui n'a pas eu d'éducation et qui fait preuve d'écarts de comportements ». Selon lui, « la différence est subtile mais elle a son importance ». Chams-Ddine Belkhayat, président de Bleu network et Bleu inclusion et papa d'un garçon autiste, consent que « certains enfants avec troubles du neurodéveloppement puissent être parfois gênants, voire agressifs, mais cela ne répond en rien à la définition du harcèlement, il n'y a aucune volonté de nuire à un autre enfant en le visant délibérément ». « Avec des enseignants et autres membres de l'équipe éducative peu sensibilisés, notamment à l'autisme, on pourrait en effet avoir des dérives d'exclusions », s'inquiète André Masin.

Mise au point de l'Education nationale

Selon Chams-Ddine Belkhayat, « il est grand temps de mettre un terme à ce type de discours malveillant, et c'est à l'Education nationale de mener ce chantier en son sein. Le discours institutionnel doit être très clair ». Justement, l'institution, elle en pense quoi ? Tous deux interpellés, le ministère délégué aux Personnes handicapées et la délégation nationale à l'autisme au sein des troubles du neurodéveloppement, n'ont pas répondu…

Alors Handicap.fr a posé la question au ministère de l'Education nationale. Voici la réponse de son cabinet : « Nous avons pris contact avec le S2Dé et avons clairement indiqué à leurs représentants que la faculté ouverte par le décret du mois d'août visait uniquement les élèves harceleurs et n'avait aucunement vocation à permettre d'exclure plus facilement des élèves dont le comportement est jugé perturbateur, indépendamment de tout fait de harcèlement ». Il a par ailleurs insisté sur le fait qu'il est « en désaccord avec la formulation laissant entendre, via la référence au manque de places en établissements et services médico-sociaux, que les élèves à besoins éducatifs particuliers sont des élèves plus susceptibles de harceler d'autres élèves ». Le ministère assure qu'il sera « très vigilant vis-à-vis de décisions qui manifesteraient une interprétation extensive de ces nouvelles dispositions réglementaires ».

Que faire en cas de discrimination ?

Si une famille est victime de ce type de discrimination dans son école, quel recours possible, sachant que, si c'est le cas, le DASEN aura validé la procédure ? Le cabinet du ministre assure que « les décisions de radiation que pourront être amenées à prendre les maires, à la demande des DASEN, en cas de persistance du comportement de harcèlement d'un élève scolarisé dans un établissement du 1er degré, seront bien susceptibles de recours, gracieux ou contentieux devant le tribunal administratif. » L'association Info droit handicap met par ailleurs à disposition un courrier type pour toutes démarche de type « référé liberté ».

Une inclusion à géométrie variable

Selon lui, ce syndicat a « au moins le mérite de dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas ». Dans un sondage rendu public à la rentrée 2023, 95 % des enseignants se disent en effet favorables à l'insertion, au sein de l'école ordinaire, des élèves avec un handicap... physique. Mais ce chiffre tombe à 58 % en cas d'autisme et 44 % en cas de troubles psychiques. L'inclusion reste donc à géométrie variable (Lire : Sondage des enseignants, des handicaps qui bousculent?). Le syndicat #S2Dé illustre ses réticences par le témoignage d'un directeur d'école : « Ces enfants peuvent se mettre en danger eux-mêmes (tentent de s'échapper de l'école, escaladent les grilles, se cognent, résistent fortement quand on les saisit….), ils mettent en danger physique et psychique les autres élèves (crient très fort, frappent, jettent des objets dans la classe, renversent tables et chaises, obligent l'enseignant de mon école à sortir laissant les autres seuls), mettent parfois en danger les adultes, déstabilisent toute l'école ». Pourtant, dans le même temps, il consent que « ces enfants sont les premiers malheureux, voire en situation de maltraitance, car l'école même en ULIS ne peut pas répondre à leurs besoins ». Pour Chams-Ddine Belkhayat, ce sont eux qui sont « le plus souvent victimes et harcelés ».

Un manque de solutions ?

Cette situation permet de mettre en lumière une vraie problématique, les lacunes dans l'accompagnement qui peut, en effet, conduire à des situations critiques. Dans ce contexte, plutôt que d'exclure, il faut, selon André Masin, « accompagner les écoles pour leur permettre d'accueillir tous les enfants qui y ont un intérêt réel, avec des moyens conséquents, pour compenser la densité du handicap. Tous ceux qui ont un 'profil d'IME' doivent avoir une éducation adaptée, avec du personnel formé, en nombre suffisant » (Lire : De nouveaux dispositifs pour les élèves TND... insuffisants?). « Pour le moment, nos enfants n'ont pas tous leur place, ni dans ni hors de l'école, ce sont eux les victimes de l'inadaptabilité du système », conclut Chams-Ddine Belkhayat.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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