Par Laurent Barthelemy
Les trois quarts des jeunes spécialistes qui s'installent aujourd'hui pratiquent des dépassements d'honoraires, contre deux tiers en 2017, pointe un rapport du Haut conseil de l'Assurance maladie (HCAAM) qui s'inquiète de l'inflation de ces suppléments non remboursés par l'Assurance maladie.
Plus de la moitié des spécialistes en secteur 2
Selon cette instance consultative, qui regroupe de multiples parties prenantes du système de santé, « le montant total des dépassements d'honoraires des médecins spécialistes atteint 4,3 milliards d'euros en 2024, en forte accélération depuis 2019 (+5 % par an en valeur réelle, hors inflation) ». Cette accélération s'explique notamment par la hausse du nombre de spécialistes pratiquant ces suppléments : ainsi en 2024 « 56 % des spécialistes sont en secteur 2 » (pratiquant des dépassements d'honoraires), « contre 37 % en 2000 ».
Un risque de renoncement aux soins
La croissance est alimentée aussi par la « hausse des taux de dépassements » pratiqués, et par une tendance des praticiens du secteur 2 à diminuer le nombre d'actes maintenus aux tarifs opposables, note le HCAAM. Pour ce dernier, ces évolutions imposent des réformes « face à un système (…) qui présente un risque réel de renoncement aux soins ou de charge financière excessive ».
Des restes à charge parfois très élevés
En effet ces dépassements d'honoraires « peuvent induire un reste à charge élevé pour les patients », poursuit-il. « Par exemple, pour une intervention de prothèse totale de la hanche, près de la moitié des patients s'acquittent de dépassements (630 euros en moyenne et plus de 1 000 euros dans 10 % des cas) », indique-t-il.
Complémentaires santé : une participation très variable
Les complémentaires santé peuvent intervenir pour prendre en charge tout ou partie de ce reste à charge. Mais, globalement, elles ne prennent en compte que 40 % de l'enveloppe totale des dépassements, avec une participation qui est « très variable selon les contrats », note le Haut conseil. Ainsi les restes à charge les plus élevés après complémentaire santé ont tendance à concerner à la fois les patients les plus modestes, qui sont souvent moins bien protégés par leur complémentaire, et les patients les plus riches, qui ont tendance à vivre dans des communes où les médecins pratiquent davantage les dépassements d'honoraires.
Limiter les dépassements excessifs
Dans un communiqué, la FNATH (association des accidentés de la vie) a appelé « au courage des politiques pour protéger les malades ». « Il faut interdire l'installation des trois quarts des jeunes spécialistes » en secteur 2, a-t-elle estimé. « Et il faut limiter » dès le prochain budget de la Sécu « les dépassements d'honoraires excessifs et initier un débat sur le revenu des spécialistes », a-t-elle poursuivi.
Des médecins qui justifient les dépassements
Les syndicats de médecins, de leur côté, ne sont pas hostiles à ce que les pouvoirs publics cherchent à limiter les excès les plus criants. Mais ils défendent bec et ongles le principe du supplément d'honoraire, qui permet selon eux à de nombreux praticiens de compenser une revalorisation insuffisante de leurs tarifs au fil des ans. « Quand l'expertise du médecin est valorisée comme elle devrait être » par le tarif de l'Assurance maladie, « le médecin ne prend pas de dépassement », a indiqué à l'AFP le docteur Franck Devulder, président du syndicat de médecins libéraux CSMF. « Celui qui prend un dépassement d'honoraire, c'est par exemple celui qui est payé la même chose qu'il y a 35 ans pour une coloscopie », a-t-il ajouté.
Même constat chez le docteur Patrick Gasser, président du syndicat Avenir Spé, qui demande de son côté que les complémentaires santé prennent plus en charge les dépassements. « Si nos concitoyens ont des complémentaires santé, c'est bien pour prendre en charge ces dépassements d'honoraires qui sont justifiés dans les 4/5es des cas », a-t-il dit à l'AFP.
Un rapport attendu mi-octobre
Le gouvernement Bayrou avait chargé deux parlementaires, Yannick Monnet (PCF) et Jean-François Rousset (Aveyron) de dresser un état des lieux des suppléments d'honoraires, et de faire des recommandations. Le rapport doit être rendu mi-octobre, selon l'entourage de M. Monnet.
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