La dépression a-t-elle un impact sur la mémoire ?

A l'occasion du Blue monday, le 17 janvier 2022, jour le "plus déprimant de l'année", 2 médecins se penchent sur le lien entre dépression et mémoire, ainsi que sur l'utilité de psychotropes. Et quid de l'impact de la pandémie sur notre moral ?

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Le Blue monday, c'est quoi ? Le jour considéré comme le plus déprimant de l'année par une chaîne de télé britannique en 2005. L'expression fait plus généralement référence aux variations hebdomadaires de l'humeur et à l'idée que le lundi est le jour le plus triste de la semaine. On célèbre ce « lundi bleu » le troisième lundi de janvier. En 2022, il tombe donc le 17. A cette occasion, l'Observatoire B2V des Mémoires s'est penché sur les liens entre la mémoire et la dépression. Plusieurs pistes sont explorées par Francis Eustache, neuropsychologue, et Catherine Thomas-Antérion, neurologue et docteur en neuropsychologie, tous deux membres du conseil scientifique de cet Observatoire qui, créé en 2013, a pour mission d'étudier la mémoire sous toutes ses formes. Leurs réponses...

Question : Une dépression, ça veut dire quoi ?
Réponse : La dépression est un terme générique qui regroupe des situations très différentes. Elle concerne une personne jeune ou âgée, un épisode unique ou récurrent, et on distingue les dépressions simples ou accompagnées ou non d'autres troubles psychiques (les comorbidités). La personne dépressive présente une humeur triste, une perte des intérêts, une diminution de l'élan vital et de l'activité ; cette baisse de régime est ressentie comme source de fatigue. Le patient souffre d'un manque de confiance et d'estime de soi, de sentiments de culpabilité ou de dévalorisation. Les idées suicidaires représentent un symptôme inquiétant, avec un risque suicidaire proportionnel à la gravité de la dépression. D'autres symptômes sont constants comme les troubles du sommeil et de l'alimentation.

Q : Peut-elle entraîner une perte de la mémoire ?
R : La dépression n'est pas une maladie de la mémoire, comme la maladie d'Alzheimer, souvent considérée comme le prototype de ces maladies. Les troubles de l'humeur vont toutefois entraîner des troubles de la mémoire du fait des difficultés de concentration et du ralentissement idéomoteur. Les insomnies modifient aussi la qualité de la consolidation à cause des troubles du sommeil. Dans la maladie d'Alzheimer, on observe des troubles authentiques de la mémoire, c'est-à-dire que la personne ne parvient pas à enregistrer (encoder) de nouvelles informations, tout en oubliant des informations et des souvenirs qu'elle avait pourtant acquises dans son passé. Dans la dépression, il s'agit plutôt de troubles « apparents ». La personne souffrant de dépression a des difficultés à rappeler spontanément les informations (dans les tests de mémoire, cela correspond aux conditions de rappel libre). En revanche, et contrairement à la maladie d'Alzheimer, la personne dépressive est aidée par des indices de rappel (le début des mots présentés dans la phase d'encodage ou leur catégorie sémantique : c'était un nom d'animal, de fruit etc.) alors que ces indices aident peu le patient souffrant d'Alzheimer. En plus des mécanismes de la mémoire temporairement altérés, les contenus peuvent être modifiés. Les idées noires envahissent les souvenirs qui, à leur tour, envahissent les pensées de la personne dépressive entraînant une sorte de cercle vicieux. Un autre point notable est la distorsion de la perception du temps et de la projection dans le futur avec l'impression d'un temps qui s'accélère. Les souvenirs épisodiques biographiques sont rares, émoussés et « sur-généralisés », parce que le dépressif est replié sur lui-même pendant l'épisode avec une émotion émoussée et entièrement centrée sur la tristesse.
 
Q : Sur notre cerveau, quelles sont les traces laissées par une dépression ?
R : Les recherches en neurosciences, qui utilisent notamment les méthodes d'imagerie cérébrale fonctionnelle, vont dans le même sens que les descriptions cliniques et montrent un dysfonctionnement des circuits qui unissent les régions préfrontales (en avant du cerveau) et les hippocampes, impliquées dans le mémoire épisodique. Ces altérations sont bien en accord avec les difficultés de rappel (de récupération) qui sont observées dans les tests de mémoire. Ce ne sont pas vraiment les mécanismes de la mémoire qui sont touchés mais davantage les stratégies qui permettent à la mémoire de bien fonctionner. Ces observations sont faites dans le cadre de la recherche sur des groupes de patients. Elles sont peu utiles en clinique courante, chez un patient singulier, contrairement à la maladie d'Alzheimer où les méthodes d'imagerie cérébrale jouent un rôle de premier plan dans le diagnostic.
 
Q : En cas de dépression, est-il nécessaire de prescrire des traitements psychotropes (qui ont pour objectif de « normaliser l'humeur ») ?
R : Il s'agit d'une question très complexe sur laquelle il est difficile de généraliser compte-tenu de la variabilité des situations. On peut citer, notamment : l'âge des patients, leurs comorbidités (c'est à dire les autres fragilités psychiques éventuelles ou la consommation de toxiques : alcool, cannabis etc.), le type de dépression (réactionnelle à une épreuve de vie ou endogène). Le message consensuel, notamment celui des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) en 2017, est de dire qu'une psychothérapie de soutien, réalisée y compris par le médecin généraliste, peut être proposée sans recours au médicament uniquement en cas de dépression modérée et ce avec toujours une évaluation à quatre ou huit semaines pour revoir la nécessité d'introduire ou non un traitement médicamenteux. En cas de dépression sévère qui le nécessite d'emblée, il est toujours recommandé d'accompagner le médicament d'une psychothérapie et, lorsque cela est possible, d'un accompagnement de l'entourage. Le traitement antidépresseur est choisi en fonction de la personne malade et des symptômes le nécessitant, et toujours dans l'alliance médecin-malade.

Q : Ces traitements ont-ils des effets secondaires cognitifs ?
R : Le plus souvent, les personnes témoignent, en retrouvant sommeil, élan vital et en diminuant les idées sombres, d'un meilleur fonctionnement, par exemple : « Je commence à pouvoir lire de nouveau sans oublier ce que je viens de lire la page précédente ».

Q : Même en cas de traitement par benzodiazépines ?
R : Les benzodiazépines, notamment celles à vie longue, sont pourvoyeuses de très nombreux effets secondaires après 65 ans. C'est pourquoi elles ne sont plus prescrites que pour de courtes périodes dans le cadre d'une dépression par exemple en cas d'insomnie rebelle. Selon un rapport de la HAS datant de 2012 : « La balance bénéfice/risque est clairement défavorable pour les traitements chroniques, avec nombre d'effets indésirables potentiellement graves et source d'hospitalisation et de surmortalité́ : chutes, troubles cognitifs, troubles psychomoteurs et du comportement, accidents de la route, perte d'autonomie, survenue de tolérance et de dépendance, voire risque suicidaire selon une étude récente. » Enfin, un certain nombre d'études épidémiologiques posent la question d'un sur-risque de troubles cognitifs majeurs (maladie d'Alzheimer mais pas seulement) lors de leur consommation prolongée, ce qui a conduit à un message d'alerte de l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) et à une réflexion sur leur prescription.

Q : A-t-on déjà assez de recul pour connaître l'impact de la pandémie sur notre cerveau et notre santé mentale ?
R : La pandémie de Covid-19 et les situations de confinement ont entraîné, pour certaines personnes avec ou sans antécédent de fragilité psychique, une véritable épreuve, avec toutefois de grandes disparités selon les groupes sociaux et les situations de confinement. De nombreuses études ont été menées à différents moments de cette crise sanitaire. Une hausse de l'anxiété a notamment été mise en évidence, parfois suivie par des symptômes dépressifs. Il est important maintenant de suivre les enquêtes régulières comme celles menées par Santé publique France pour estimer les effets durables d'une telle situation anxiogène chez ces personnes. Il a été également enregistré une augmentation des addictions, élément de vulnérabilité à la dépression et comorbidité fréquente, ce qui exige des études complexes prenant en compte de nombreux paramètres.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr.Toutes les informations reproduites sur cette page sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Handicap.fr. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, sans accord. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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