« Ma femme a accouché le 14 novembre et, à partir de là, tout s'est effondré... » 24 décembre 2020. Limay, Yvelines. Une femme de 31 ans poignarde à mort son neveu, âgé de 10 ans, blesse sa nièce de 4 ans et son fils d'un mois et demi. Si, dans un premier temps, elle se dit « possédée par le diable », elle explique ensuite, durant sa garde à vue, son geste par une dépression post-natale. Son époux confirme qu'elle a littéralement « pété les plombs ». Deux jours plus tard, elle est écrouée pour homicide volontaire et tentative d'homicide sur mineur. « Je n'arrive pas à y croire, déclare-t-elle aux enquêteurs, selon Le Parisien. Pourtant j'aime ma famille. Tout cela, c'est à cause du stress... » « Un drame sur lequel la justice a été saisie et déterminera toutes les responsabilités (qui) vient rappeler à chacun que le post-partum est une période de grande fragilité touchant toutes les femmes après l'accouchement », a réagi Adrien Taquet, secrétaire d'Etat en charge de l'Enfance et des familles, sur Twitter, le 27 décembre. Sans forcément engendrer des situations aussi dramatiques, c'est un cap parfois difficile à franchir qui exige une grande vigilance de la part des professionnels et surtout une prise en charge adaptée.
Baby-blues…
Pierre Thomas, psychiatre et professeur de psychiatrie, tient à faire un distinguo. Le « baby-blues » survient en général quelques jours après l'accouchement, c'est pourquoi il est aussi appelé « syndrome du troisième jour », et se manifeste par de l'irritabilité, de l'anxiété, de la vulnérabilité et des sautes d'humeur. Il s'agit d'une réaction transitoire, jusqu'à une quinzaine de jours, qui s'explique par des changements physiologiques (chute hormonale importante), une augmentation du stress et un manque de sommeil. 80 % des femmes en seraient affectées. « Auparavant, la durée d'un séjour en maternité atteignait cinq jours, aujourd'hui c'est beaucoup plus court. Pour certaines femmes, le retour à la maison peut s'avérer compliqué », explique-t-il. Mais cela devient « catastrophique », selon lui, lorsque le malaise s'installe ou même survient dans les mois qui suivent, en général vers le troisième mois après l'accouchement.
…ou dépression post-natale
On parle alors de « dépression post-natale », qui concerne 10 à 15 % des mamans en France. « Il n'est pas toujours facile de distinguer l'un de l'autre », poursuit-il. Or ces dépressions, qui sont loin d'être rares, peuvent avoir des conséquences importantes sur les interactions mère-enfant si elles ne sont pas repérées. Symptômes majeurs ? Troubles du sommeil, anxiété, inquiétude, réduction d'appétit, désintérêt, difficultés à demander de l'aide et à récupérer... Si la pression sociale exige que la maternité soit une expérience positive, ce n'est donc pas toujours le cas. Les femmes qui, un temps, ne voient pas cette nouvelle vie en rose, sont parfois submergées par un sentiment de culpabilité ou d'incompétence, pouvant engendrer une perte d'estime de soi.
Facteur de troubles psychiques ?
Se pose alors une question : « La maternité peut-elle déclencher des troubles psychiques ? » « Elle peut en effet être une entrée fréquente dans les troubles bipolaires, explique le Dr Mottet, médecin psychiatre et pédopsychiatre (interview complet en lien ci-dessous). C'est souvent l'un des premiers éléments à apparaître, même si toutes les femmes n'y sont évidemment pas confrontées. » « La dépression post-partum peut aussi révéler des problèmes enfouis : une IVG mal vécue, des conflits trans-générationnels, une agression sexuelle..., ajoute Pierre Thomas. L'histoire de la mère rejaillit alors brutalement. »
Les pôles de périnatalité : une prise en charge spécifique...
Comment prendre en charge ces femmes aux besoins spécifiques alors que les services de psychiatrie sont souvent saturés ? C'est tout l'enjeu des pôles de périnatalité. « Ces activités de recours régional sont essentielles », plaide Pierre Thomas, qui exerce au sein du service psychiatrie périnatale du CHU de Lille. Selon le Dr Mottet, qui travaille quant à lui au sein de l'Unité de psychiatrie périnatale (UPP) de La Teppe, située dans la Drôme, ces structures sont indispensables à deux niveaux : l'aspect préventif mais aussi une prise en charge particulière mettant l'accent sur la réactivité et la disponibilité. « Dans un établissement psychiatrique classique, les patients doivent parfois attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous, ce qui est inconcevable dans la périnatalité, assure-t-il, promettant de fournir une réponse dans les jours qui suivent la demande ». Autre spécificité ? L'aide prodiguée s'adresse à l'ensemble de la famille et en particulier aux papas car ils peuvent également développer des symptômes dépressifs.
Confrères appelés à la vigilance
« L'hospitalisation mère-enfant à plein temps permet de prendre en charge des pathologies psychiatriques sévères, comme une décompensation bipolaire après l'accouchement ou une bouffée délirante aiguë. Les hospitalisations de jour sont, quant à elle, proposées en cas de dépression ou de troubles anxieux post-partum », précise le Dr Thomas, qui appelle ses confrères à la plus grande vigilance. « Quand ces troubles sont 'spectaculaires', ils sont relativement bien pris en charge. Ceux qui sont plus insidieux le sont moins alors que le retentissement en termes de troubles de l'attachement chez l'enfant peut être considérable », prévient-il.
Une prise de conscience nationale ?
Si, selon les deux psychiatres, ces problématiques ont longtemps été sous-estimées, elles « commencent » à être prises en compte. « Depuis une trentaine d'années, des initiatives sont mises en place partout en France pour prévenir ces troubles et sensibiliser les professionnels des maternités et de la petite enfance », affirme le Dr Thomas. Le hic ? Le manque de structures spécialisées. Pour changer la donne, Michel Dugnat, pédopsychiatre, qui fédère l'ensemble des dispositifs de périnatalité sur le territoire national, a obtenu un engagement de financement national pour créer des structures de périnatalité telles que des unités « mère-bébé » et des équipes mobiles spécialisées.
En l'absence de ces pôles, lors de la grossesse, « les femmes peuvent avant tout s'appuyer sur les maternités et les sages-femmes qui connaissent bien le réseau local, recommande le Dr Mottet. Par la suite, en cas de dépression post-partum, il faut interpeller les professionnels habituels (médecin traitant, sage-femme, protection maternelle et infantile). Ces professionnels de terrain sauront au plus vite vers qui les orienter. » L'enjeu majeur ? Ne pas perdre de temps !