Par Alexandre Marchand
Après une expérimentation en 2023 avec un duo de blessés de guerre, l'écurie Frères d'armes, une association montée par des militaires d'active, a emmené en 2025 deux équipages de blessés. Un équipage féminin sur un camion Renault Kerax et un équipage masculin au volant d'un 4x4 Peugeot P4 sont engagés sur le "Dakar Classic", une course parallèle au Dakar sportif.
Redonner le goût de l'aventure
Sur le bivouac du plus célèbre des rallye-raids, le boitement de Séverine Lehoux, sous-officier au 2e régiment du matériel de l'armée de Terre, trahit son amputation fémorale de la jambe gauche à la suite d'un cancer de l'os en 2018. La trentenaire s'est engagée il y a plus d'un an dans ce projet associatif. Depuis, dit-elle, "j'arrive à mieux me dire 'Tu peux partir du jour au lendemain, prends juste le nécessaire vital pour toi, tu vas t'adapter.' C'est pas simple, dans la tente, de chausser la prothèse. Mais j'ai trouvé et j'y arrive !" Participer à cette course de quinze jours en Arabie saoudite est une manière de redonner aux membres de l'équipe le goût de l'aventure, de l'inconnu, en les sortant de la routine dans laquelle les drames de la vie les ont parfois forcés à se retrancher.
Se confronter à ses limites, ses angoisses
Se lancer dans un rallye aussi éprouvant que le Dakar, c'est cependant aussi se confronter à ses limites, ses angoisses. Aurore Valaize, 37 ans, a longuement préparé ce moment avec sa psychologue. Membre du service de santé des armées, elle a été déployée sur des théâtres de guerre comme le Mali ou l'Afghanistan. Des missions éprouvantes qui sont revenues la hanter : il y a quatre ans, on lui a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique (TSPT). "Pour moi, les premières étapes (du Dakar) ont été compliquées. Parce que le paysage ressemble beaucoup à l'Afghanistan, donc ça rappelle des souvenirs qui ne sont pas forcément gais", raconte-t-elle d'une voix éteinte.
La solidarité dans l'épreuve
Que ce soit dans le feu de la course ou le soir au campement, ces frères et sœurs d'armes s'épaulent dans l'épreuve. "Entre blessés, on peut se dire les choses. On a tous un vécu différent mais on est tous passés par là. Chose que les gens ne peuvent pas comprendre tant que tu n'es pas passé par cette case-là", explique Ludovic Failly, 54 ans. Il y a dix ans presque jour pour jour, le 26 janvier 2015, ce chef-mécanicien se trouvait sur la piste de la base aérienne d'Albacete (Espagne) lors du crash d'un F-16 grec pendant un exercice de l'Otan. L'accident a fait onze morts, dont neuf militaires français. Lui a été brûlé à 38 %, subi de multiples fractures et a passé un mois en coma artificiel.
Les aléas de la course
Mais, au fil du Dakar, les apprentis pilotes découvrent aussi les aléas de la course. Lorsque l'AFP les rencontre au bivouac, lors de la journée de repos à Haïl, Ludovic ronge son frein. Cela fait plusieurs jours que sa voiture ne peut participer au rallye, dans l'attente d'une culasse qui a cassé à la fin de la première étape. "Le véhicule est sur une remorque là-bas et on est à pied. On fait du stop sur les camions pour l'instant. A chaque fois que la caravane s'en va, on monte dans un camion", dit-il.
Un processus de resocialisation
En 2023, quelque 120 000 personnes étaient titulaires d'une pension militaire d'invalidité en France. Le nombre de blessés souffrant de TSPT était, lui, estimé à 3 000 par le ministère des Armées. Pour l'écurie Frères d'armes, le Dakar n'est que le point culminant d'un processus de resocialisation des blessés. Pour réunir les 180 000 euros nécessaires à la participation de l'équipe au Dakar, les intéressés ont dû eux-mêmes démarcher des sponsors, participer à des salons, des événements caritatifs, etc. "On ne les prend ni au début (de leur reconstruction), ni au milieu, on les prend plus vers la fin", explique Ludovic Gateau, l'un des responsables de l'écurie. "En fait, on est là pour les aider à franchir le dernier seuil de l'échelle."
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