Par Anne-Sophie Labadie
Il y a sept ans, quand Mickaël a dû rester 18 mois hospitalisé et subir douze opérations, des greffes osseuses, des greffes de peau, il n'aurait jamais pensé être, en 2023, en Arabie Saoudite pour prendre le départ du Rallye Dakar, qu'il regardait gamin "scotché à la télé". Encore moins se retrouver à camper tout près des intimidants Audi hybrides et de "Monsieur Dakar", Stéphane Peterhansel. Il savoure. Le 1er janvier 2023, la première étape, entre et sable et cailloux, "n'était pas facile, mais on s'est pas mal débrouillé", commente le pilote, et "c'était magnifique". Quant aux deux étapes suivantes, "on s'est régalé", malgré une panne d'essence.
Le sport, un carburant pour guérir
Le célèbre rallye-raid faisait aussi rêver Philippe, le navigateur qui, comme son pilote et les membres de leur écurie, ne souhaite pas que son nom apparaisse dans la presse. Mais "je n'aurais jamais imaginé y participer", commente-t-il alors que des mécaniciens s'affairent sur leur voiture. "C'est un challenge personnel, et une aventure importante pour montrer aussi qu'on peut réaliser de belles choses malgré le handicap et la blessure, et surmonter cette épreuve", dit-il derrière ses lunettes de soleil aux verres colorés. Le sport a été leur carburant pour guérir.
Un équipage de blessés de guerre sur le Dakar
A Sydney en 2018, lors des Invictus games, compétition sportive rassemblant des soldats blessés venus du monde entier, Mickaël remporte une épreuve de pilotage pour sa première participation, en dépit du manque de préparation et du volant à gauche. Le Prince Harry, initiateur de ces Invictus games, lui remet sa médaille. Philippe brille aussi notamment en athlétisme, avec une prothèse. De son côté, l'écurie Frères d'armes, montée par des passionnés de sports mécaniques liés à l'institution militaire, dont Emmanuel et Sandra, souhaite engager un équipage composé de blessés de guerre sur le Dakar. L'objectif est de "rendre hommage au travail de reconstruction par le sport, un parcours très difficile pour leur famille, physiquement et moralement, avec parfois des possibles troubles de stress post-traumatiques", explique Emmanuel. L'aventure commence.
Une nuit au rythme des réparations et de moteurs
L'écurie a retapé un ALM ACMAT de 1983 toujours en service dans l'armée, une réplique d'un camion engagé dans l'édition 1981 du Dakar avec des membres issus de l'unité d'instruction et d'intervention de la sécurité civile, et qui avait remporté la victoire en camion. A son bord, Emmanuel et Sandra accompagnent Mickaël et Philippe qui sont, eux, au volant d'un Peugeot P4 de 1990 en fonction dans l'armée jusqu'à peu, repeint en rouge vif et décoré d'autocollants d'associations telles que "Les gueules cassées sourire quand même" et le "Bleuet de France". Le pick-up manque de puissance et "c'est un véhicule ancien, il faut préserver la mécanique", dit Philippe. L'autre composante pour franchir la ligne d'arrivée le 15 janvier à Dammam sera de gérer la navigation. Cette vigilance nécessaire pour ne pas perdre de temps ne fait pas trembler les deux militaires, pas plus que le manque de sommeil sur le bivouac qui vibre la nuit au rythme des réparations et des moteurs.
Renouer avec le désert
Les deux novices du Dakar ont fait leurs armes lors des 24 heures Tout terrain de France (24H TT) sur deux buggies, préparés pour l'occasion. "Avant, je connaissais mes limites avec les stages commando. Avec les blessures, mon corps a changé et le curseur n'est pas au même niveau", explique Mickaël, silhouette athlétique comme son copilote. Mais le moral est toujours d'acier, d'autant plus que le rallye-raid rime avec un dépassement de soi et lui permet de retrouver "les valeurs et l'esprit d'équipe, la cohésion nécessaires pour accomplir quelque chose de grand". Pour Mickaël, la course revêt un défi supplémentaire. "Sauter sur un engin explosif, c'est très violent. Je n'ai jamais remis un pied dans le désert depuis. C'est une belle revanche", dit-il. L'explosion d'un véhicule qui a grièvement blessé un concurrent français lors de la précédente édition et les équipes de déminage et brigades cynophiles qui inspectent les bivouacs à chaque changement de campement, sont venus "un peu gâcher la fête", reconnaît-il, mais "je ne vais pas rater cette expérience, on vit des choses extraordinaires, on se régale !".