Diagnostic handicap : les proches face au tsunami émotionnel

"Un tsunami émotionnel." C'est ce qu'éprouvent de nombreuses familles après l'annonce du diagnostic de leur proche. Démunies, seules, inquiètes, elles doivent faire le deuil d'une vie "normale" et assurer un rôle éprouvant : aidant. Témoignages.

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Une mère prend dans les bras sa fille qui ferme les yeux, l’air triste.

« Après cette simple phrase 'il est schizophrène', la consultation était finie. Mon frère n'était plus une personne mais une maladie. C'est comme si tous les rêves et moments de joie vécus avec lui étaient terminés. » Priscilla Couchy se souvient avec une précision douloureuse du premier jour du reste de sa vie. Choc, sidération, incompréhension, soulagement… L'annonce d'un diagnostic de handicap, même « invisible », agit comme un véritable « tsunami émotionnel ». Les proches se retrouvent souvent seuls, démunis face à une réalité qu'ils découvrent « au forceps » : celle d'un quotidien fait d'incertitudes, de démarches administratives complexes et de remises en question permanentes.

À travers les voix de parents, frères et sœurs, cet article dévoile la transformation intime et profonde de ceux qui, dans l'ombre du diagnostic, portent aussi le poids du handicap. Une métamorphose souvent invisible, mais dont la compréhension est essentielle.

L'annonce, un choc traumatique

« En 2020, quelques semaines après une opération chirurgicale, mon fils a fait une bouffée délirante aigue avec troubles paranoïaques et crise de délire maniaque », raconte Caroline Lebeau. Le verdict tombe trois ans plus tard : trouble schizo-affectif. « Les mots du psychiatre m'ont sidérée », dévoile-t-elle. « J'ai pleuré pendant trois jours après le diagnostic de mon fils, puis une demi-journée pour ma fille trois ans après », confie Virginie Delalande, sourde et maman de deux enfants également concernés (Sourds de mère en fils : entre douleur et résilience). « L'annonce s'apparente bien souvent à un choc traumatique car elle vient fracturer la continuité de vie de la personne concernée mais aussi de ses proches, analyse Hélène Romano, docteur en psychopathologie. Lorsque j'apprends quelque chose pour lequel je n'étais pas du tout préparée, ça maximise cette effraction psychique. » A fortiori lorsque cette annonce est considérée comme brutale ou expéditive... (Handicap : le poids des mots dans l'annonce du diagnostic)

Manque de prise en compte du ressenti des proches

« 'Schizophrénie', je ne connaissais pas ce mot ! Est-ce que je risque de l'être moi aussi ? On nous jette à la figure le diagnostic et c'est à nous de nous démerder », s'irrite Priscilla, qui, face à l'absence d'information sur les symptômes et l'évolution de la maladie, ainsi que les clés pour accompagner son frère au quotidien, a éprouvé un « vide intersidéral ». « Notre ressenti, en tant que proche, n'est pas du tout pris en compte », abonde Céline Petitpoisson, mère d'un jeune homme bipolaire. « Le centre expert pose uniquement le diagnostic et ensuite pas de parcours de soin coordonné. J'aurais aimé être davantage rassurée et obtenir des informations sur la suite de soins, poursuit-elle. Ni les difficultés d'accompagnement de mon fils n'ont été abordées ni les risques de stigmatisation, d'auto stigmatisation et de discrimination. »

« Toute l'attention était portée sur les résultats, le diagnostic, les procédures à suivre... Mais pas sur nos émotions, déplore, de son côté, Virginie. On ne m'a pas expliqué grand-chose et on m'a directement renvoyée vers le secrétariat pour prendre le rendez-vous suivant… Je me suis dit : 'Dire que j'étais préparée ! Je ne sais pas comment le vivent les autres parents qui doivent repartir avec plus de questions que de réponses !' »

L'absence d'orientation

Ce jour-là, Virginie aurait aimé entendre : « Ce n'est pas parce que vous avez un handicap que vous serez un moins bon parent ». « Je me suis demandée si j'allais être à la hauteur, tellement j'avais intégré l'idée que les personnes handicapées faisaient tout moins bien que les valides… » Quant à Caroline, elle aurait souhaité savoir « qu'avec du temps, de la patience, de la résilience, on ne guérit pas de la maladie mais on peut se rétablir… ». Toutes insistent sur la nécessité d'inclure d'avantage les proches dans la prise en charge. « La famille est le partenaire des équipes soignantes », garantit Priscilla. « L'aidant peut sacrément soulager le travail des soignants », insiste Caroline.

Faire le deuil d'une vie « normale »

Qu'une annonce soit un choc ou un soulagement, « il faut en quelques sortes faire le deuil du proche idéal », observe le Dr Romano. « Quand on annonce aux parents que leur enfant est sourd, autiste ou qu'il perd la vue, ils se sentent extrêmement impuissants, poursuit-elle. En tant que mère, père, on espère que notre enfant va avoir la vie la plus douce, la plus heureuse et la plus épanouie possible et, au départ, on peut imaginer que le handicap va, au contraire, la complexifier. » Priscilla se souvient avoir pensé : « Rien ne sera plus comme avant désormais. » « Je ne dirais pas du 'proche idéal' mais de mon proche tel qu'il était avant la maladie (d'autant plus que c'était un enfant puis un adolescent gentil, bienveillant, facile à vivre) », précise Caroline. Céline – qui, elle, a vécu ce diagnostic comme un soulagement après des années d'errance diagnostique - n'a pas éprouvé ce sentiment car « Thomas a toujours été un homme à la personnalité atypique ». Elle admet malgré tout avoir dû « faire le deuil d'une vie personnelle et familiale ordinaires ».

Une vie familiale bouleversée

À peine le temps d'encaisser ce coup, qu'il faut retourner sur le ring. Une réorganisation est de mise. « Très vite, toute notre vie familiale a basculé, dictée par les phases dépressives puis maniaques et les hospitalisations plus ou moins longues de notre fils », se souvient Caroline. Comme de nombreux parents, elle a donc été contrainte de cesser son activité professionnelle pour accompagner son fils, tandis que ses relations sociales et ses activités ont été drastiquement limitées. « Progressivement mon rôle et ma place de maman se sont effacés pour laisser place à celui d'aidante, confie de son côté Céline. Je ne l'ai pas mesuré toutes ces années car ça me paraissait normal, jusqu'au quasi épuisement émotionnel, physique et psychique. » « Mon couple aussi en a pris un coup et nous avons dû mettre en place une thérapie familiale pour ne pas perdre en route la fratrie », reprend Caroline, mère de deux enfants. « C'est comme dans un marathon, vous courez mais il n'y a pas de ligne d'arrivée. C'est sans fin, on est pris par le temps et on veut aller au plus vite. C'est anxiogène », indique Magali Pignard, qui a été diagnostiquée autiste après son fils.

L'entourage : entre peur et déni

Ces familles espèrent alors trouver du réconfort auprès de leur famille ou de leurs amis mais, en cas de complications, ces appuis se transforment parfois en « juges » intraitables, culpabilisants, absents... « Je parle peu de la fragilité de mon frère car je subis souvent l'effet boumerang. Mon ex belle-mère m'avait par exemple traité de 'folle' et de 'bipolaire' », révèle Priscilla. Céline a également fait face au « changement radical de sa belle-famille qui est devenue fuyante et dans le déni ». Cette maman solo était par ailleurs sans cesse confronté à des remarques stigmatisantes : « Il est fainéant, non ? Il n'a pas l'air malade, alors pourquoi il ne travaille pas ? » « Les gens qui ne sont pas concernés ne peuvent pas comprendre ce que l'on vit. On a beau leur expliquer… Il faut le vivre pour le comprendre », estime Magali.

« Pendant ma grossesse, j'avais surpris la mère de ma meilleure amie sourde dire : 'Quand on a un handicap, on ne devrait pas se reproduire, c'est tellement égoïste !' », se remémore avec amertume Virginie. « Lorsqu'on a annoncé la surdité de mon fils aux autres membres de la famille, certains ont pleuré, d'autres n'ont pas su quoi répondre, d'autres encore ont baissé les yeux et sont immédiatement passés à un autre sujet. Personne ne nous a demandé : 'Et vous ? Vous le vivez comment ?' On avait vraiment l'impression d'annoncer une maladie grave ou un décès. Cela m'a fait mal parce que je me disais que, quelque part, ça montre comment ma famille vit réellement mon handicap », poursuit la première avocate sourde de France.

Les associations, ces alliées précieuses

De nombreuses familles se tournent alors vers des associations. « Le seul espace de sécurité, je l'ai eu auprès de l'Unafam et de la Maison perchée (dédiées à l'accompagnement du handicap psychique, ndlr) », indique Priscilla. « J'aurais aimé être orientée directement vers les associations dédiées aux aidants familiaux », déclare Caroline, qui a fini par trouver le soutien et l'écoute dont elle avait besoin au prix de beaucoup de recherches personnelles, « et ça, tout le monde n'est pas forcément armé pour le faire », souligne-t-elle.

Des aidantes engagées

Certaines se sont elles-mêmes engagées afin d'éviter à d'autres familles d'éprouver la solitude et l'incompréhension qui les ont, un temps, paralysées. « J'ai perdu 10 ans à être guidée par la maladie, et non pas à vivre ma vie », livre Priscilla, membre de l'Unafam, qui encourage à développer la psychoéducation. Ce processus – qui vise à informer les patients et leurs proches sur les troubles psychiatriques et à promouvoir les options pour y faire face – redonne, selon elle, à tous « le pouvoir sur leur vie ». Virginie a également décidé de consacrer une grande partie de son temps à accompagner les parents d'enfants en situation de handicap. « Vous avez le droit de pleurer, de douter… mais ne laissez personne vous faire croire que vous serez un moins bon parent. L'amour, l'attention, la présence… c'est ça, être un bon parent, et vous l'avez déjà, assure cette conférencière. Votre vie sera peut-être différente de ce que vous aviez imaginé, mais elle n'en sera pas moins belle ! »

© Kaboompics.com de Pexels / Canva

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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