Handicap.fr : Dans quelles circonstances avez-vous appris que votre enfant était porteur d'un handicap ?
Virginie Delalande : Nous, les parents, vivions tous deux avec une surdité d'origine génétique et nous doutions que ce gène allait se transmettre. Et, en même temps, à ce jour, 180 gènes de la surdité sont identifiés… Donc personnellement, j'espérais un peu que nous n'avions pas les mêmes et que mon fils passerait entre les mailles du filet… Sait-on jamais ! Le jour de l'annonce, je n'ai donc pas vraiment été surprise. Mais, même si je m'y attendais, entendre les mots, les voir confirmés, ça fait toujours quelque chose !
H.fr : Comment avez-vous vécu ce moment, en tant que mère ?
VD : Franchement ? J'ai pleuré pendant trois jours pour mon fils, puis une demi-journée pour ma fille trois ans après. C'est une douleur douce-amère : celle de voir ses craintes validées, de savoir que ce handicap ne rendra pas la vie facile (ni pour les parents, ni pour nos enfants sourds), mais aussi celle de se dire qu'on sait déjà comment faire, qui sont les bons professionnels, comment accompagner notre enfant… Donc, très vite, j'ai cherché des lieux de paroles, d'échanges, pour ne pas être enfermée dans une situation bien trop lourde pour la gérer seule.
H.fr : Avez-vous eu la sensation de devoir faire le deuil du proche « idéal » ?
VD : Je dirais plutôt le deuil d'une vie que j'imaginais simple, « normale » ! Parce que mon enfant était déjà idéal tel qu'il était… Nous l'aimions déjà infiniment, et le diagnostic n'a rien changé à cet amour.
H.fr : Vous souvenez-vous des mots employés par le professionnel de santé ? Ont-ils eu un effet particulier sur vous ?
VD : Je ne me souviens pas de tout, mais de notre état émotionnel dans la salle d'attente avant le rendez-vous, ça, oui ! Nous étions complètement stressés, avec ce sentiment qu'une épée de Damoclès était prête à nous tomber dessus, et en train d'essayer de nous détendre, de relativiser, d'espérer, de nous changer les idées… Je me souviens aussi de la prudence du médecin : « Les examens semblent montrer qu'il y a peut-être effectivement une surdité, mais votre enfant est encore petit (trois mois). Nous allons avoir besoin de renouveler l'examen à six mois puis à un an. On verra, à ce moment-là, la suite à donner ». J'ai ressenti un gros boum dans la poitrine. « Ce que je craignais est arrivé… Et, en même temps, je suis encore vivante ! On va faire face. » C'est en sortant, dans la voiture, que j'ai pleuré…
H.fr : Avez-vous eu l'impression que votre ressenti, en tant que proche, était pris en compte à ce moment-là ?
VD : Pas vraiment. Toute l'attention était portée sur les résultats, le diagnostic, les procédures à suivre... Mais pas sur nos émotions. On ne m'a pas expliqué grand-chose et on m'a directement renvoyée vers le secrétariat pour prendre le rendez-vous suivant… Je me suis dit : « Dire que j'étais préparée ! Je ne sais pas comment le vivent les autres parents qui doivent repartir avec plus de questions que de réponses ! » Aujourd'hui, je sais à quel point beaucoup d'entre eux vivent cela comme un tsunami émotionnel, j'ai donc à cœur de les aider à franchir cette étape, et les suivantes, lorsqu'ils font appel à moi.
H.fr : Y a-t-il quelque chose que vous auriez aimé entendre ou savoir à ce moment-là ?
VD : J'aurais aimé qu'on me dise : « Ce n'est pas parce que vous avez un handicap que vous allez faire moins bien que les autres parents » ou encore « D'autres sont passés par là. Et ça s'est bien passé. Vous allez y arriver, à votre façon ».
H.fr : Qu'avez-vous ressenti après la pose du diagnostic (inquiétude, colère, sidération, culpabilité, soulagement...) ?
VD : Pendant ma grossesse, j'avais surpris la mère de ma meilleure amie sourde dire « quand on a un handicap, on ne devrait pas se reproduire, c'est tellement égoïste ! » En sortant de ce rendez-vous, je me suis interrogée : avait-elle raison ? J'ai donc énormément culpabilisé et me suis demandée si j'allais être à la hauteur en tant que mère, tellement j'avais intégré le fait que les « handicapés » faisaient tout moins bien que les « valides »… Je craignais que mon accent complique les choses, que mon enfant ait du mal à s'intégrer, qu'il ait honte de moi, etc.
H.fr : Comment avez-vous géré ces émotions ? Aviez-vous des ressources, du soutien ou vous êtes-vous senti(e) seul(e) ?
VD : Heureusement, je n'étais pas seule, ma belle-mère, notamment, était là. Elle a su nous écouter, absorber nos émotions et me rassurer. Néanmoins il ne s'agissait pas de transférer la charge parentale vers les grands-mères. Mais, en dehors de ce cercle familial, je me suis sentie beaucoup trop seule.
Lorsqu'on l'a annoncé aux autres membres de la famille, certains ont pleuré, d'autres n'ont pas su quoi répondre, d'autres encore ont baissé les yeux et sont immédiatement passés à un autre sujet. Personne ne nous a demandé : « Et vous ? Vous le vivez comment ? » On avait vraiment l'impression d'annoncer une maladie grave ou un décès. Cela m'a fait mal parce que je me disais que, quelque part, ça montre comment ma famille vit réellement mon handicap.
H.fr : Avez-vous pu en parler librement autour de vous, ou était-ce un sujet difficile à aborder ?
VD : Parler, oui… mais pas avec tout le monde ! Dans la vie étudiante (oui, j'étais étudiante pour mes deux enfants) puis professionnelle, je n'en parlais pas les premières années tellement j'avais peur que les gens se disent « déjà, elle a un handicap, et en plus elle a des enfants handicapés, elle ne va pas être fiable, professionnelle ». Et pourtant, 20 ans plus tard, le constat est clair : ma carrière n'a pas été affectée, et depuis que j'assume pleinement cette vulnérabilité, ma vie professionnelle a réellement pris une nouvelle dimension. J'en parle d'ailleurs dans mon second livre qui sortira fin août chez Dunod.
H.fr : Qu'est-ce que cette annonce a changé dans votre vie quotidienne ou dans celle de votre famille ?
VD : Les deux grand-mères se sont montrées très présentes. J'ai été soutenue, accompagnée, remplacée pour les rdv médicaux, orthophoniques… On a mis le paquet pour qu'aucun des enfants ne prenne de retard scolairement ou en termes d'apprentissage de la parole. Pareil pour toutes les interventions chirurgicales nécessaires… Les parents et les frères et sœurs ont été très présents. Quant à moi, j'ai demandé à avoir mon mercredi afin de caler un maximum de rendez-vous sans que cela n'impacte ma vie professionnelle.
H.fr : Qu'aimeriez-vous dire aux professionnels de santé à propos de l'impact de ces annonces sur les proches ?
VD : Je constate très régulièrement à quel point cette annonce est traumatique pour la majorité des parents. Emotionnellement, ils ne retiennent plus rien de ce qu'on leur dit après et ont l'impression de sauter dans le vide… Rassurez-les ! Donnez-leur des exemples de patients qui ont une suite heureuse, qui constitueront un « role model » (quand c'est possible évidemment), orientez-les immédiatement vers ceux qui peuvent leur fournir des ressources (associations, portails d'information…).
H.fr : Et aux parents qui vivent cette annonce ?
VD : Vous avez le droit de pleurer, de douter… mais ne laissez personne vous faire croire que vous serez un moins bon parent. J'ai décidé de consacrer une grande partie de mon temps à accompagner les parents sur ce chemin. L'amour, l'attention, la présence… c'est ça, être un bon parent. Et ça, vous l'avez déjà. Votre vie sera peut-être différente de ce que vous aviez imaginé, mais elle n'en sera pas moins belle !
© Virginie Delalande
Sourds de mère en fils : entre douleur et résilience
Comment faire face à l'annonce du handicap de son enfant lorsque l'on est soi-même concerné ? Le ressenti des proches est-il pris en compte ? Quelles pistes pour combattre la culpabilité ? Virginie Delalande, 1ère avocate sourde de France, se confie.

"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"