Le droit à l'Education des enfants en situation de handicap en France, une nouvelle fois dans le viseur de l'ONU. Dans une lettre (en lien ci-dessous) adressée le 30 juin 2022 à l'Etat, via le ministère des Affaires étrangères chargé de diffuser les informations aux ministères concernés -c'est la procédure lorsqu'une organisation internationale s'adresse à notre pays-, trois rapporteurs spéciaux des Nations unies expriment leur « inquiétude » face aux « actes d'intimidations » perpétrés à l'encontre d'Olivier Paolini, professeur des écoles et coordonnateur pédagogique de l'unité d'enseignement de l'IME Les hirondelles de Narbonne (Aude) depuis trois ans.
Les droits des enfants et de leur éducateur «entravés»
Tout commence en 2020. M. Paolini est retoqué par la directrice de l'établissement pour avoir mis en place un programme d'éducation adaptée pour un enfant handicapé faisant suite à une demande de la famille sans l'autorisation de l'institut. Quelques mois plus tard, des membres de l'administration auraient demandé aux éducateurs de ne pas s'occuper de cet enfant. Olivier Paolini pointe cette démarche « discriminatoire » auprès de la direction. On lui somme alors, selon lui, de « distinguer son travail de promotion des droits (...) de son activité professionnelle d'enseignant ». En février 2022, suite à une plainte de la famille, le Tribunal de justice de Narbonne condamne l'établissement et l'association qui le gère, l'AFDAIM-ADAPEI11. En parallèle, Olivier Paolini alerte sa hiérarchie au sein de l'Education nationale de l'Aude après avoir été contacté par plusieurs familles révoltées par la diminution du temps de scolarisation de leur enfant à la suite de décisions prises unilatéralement par l'institut. Il partage également, avec les inspecteurs, ses préoccupations concernant « des enjeux de sécurité pour les élèves » ainsi que « des entraves à ses droits et à ses missions de fonctionnaire ».
Faire respecter un droit fondamental
Depuis, Olivier Paolini, toujours en poste, dit « subir pressions et convocations à répétitions » de la part des services de l'Education nationale et de l'IME. « Ostracisé sur son lieu de travail, sa présence n'est plus souhaitée dans les réunions d'équipes », détaille son communiqué de presse. Les faits qui lui sont reprochés ? Un manque de « loyauté » et de professionnalisme, selon la directrice de l'institut. « J'ai rempli mes devoirs d'enseignant et alerté sur une chaîne de dysfonctionnements graves et systémiques », répond le lanceur d'alerte. Son moteur ? L'éducation inclusive est un droit fondamental, et la France s'est engagée à le respecter lorsqu'elle a ratifié la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH) en 2010 et celle relative aux droits de l'enfant. En tant que fonctionnaire, il a donc, selon lui, seulement « réclamer l'application du droit ».
A rebours des recommandations internationales
Un avis partagé par l'ONU qui, dans sa lettre, qualifie cet enseignant de « défenseur des droits de l'Homme » mettant en lumière les dysfonctionnements au sein des établissements médico-sociaux. « Près de 80 000 enfants et adolescents en situation de handicap ne sont pas reconnus dans les effectifs du ministère de l'Education nationale et ont une éducation pilotée par le ministère de la Santé, à rebours des recommandations internationales », estime Olivier Paolini. En 2017, Catalina Devandas-Aguilar, alors Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées de l'ONU, s'inquiétait du fait que les « enfants placés dans des établissements cloisonnés » ne recevaient pas « un enseignement de qualité sur la base de l'égalité avec les autres ». « 12 000 enfants dits 'sans solution' et jusqu'à 40 000 élèves autistes ne reçoivent aucune instruction », s'insurgeait-elle alors, jugeant cette situation « inacceptable compte tenu du niveau de richesse et des moyens de la France ». Après son audition de la France en août 2021, l'ONU réaffirme sa position demandant instamment au gouvernement « de fermer les structures médico-sociales existantes afin de permettre à tous les enfants handicapés d'être scolarisés dans des établissements ordinaires et de bénéficier de l'aide appropriée, et de placer toutes les ressources financières et humaines consacrées à leur éducation sous la seule responsabilité du ministère de l'Education nationale », provoquant « l'exaspération » de certaines associations gestionnaires et parentales (article en lien ci-dessous).
Un désir ardent de désinstitutionnaliser
Le récent courrier de l'ONU coïncide également avec la publication du rapport du Défenseur des droits sur l'accompagnement humain des enfants en situation de handicap, publié le 26 août 2022, qui déplore notamment l'absence de données précises sur le nombre d'enfants « privés de toute éducation » (article en lien ci-dessous). Toutefois, « il est dommage que la Défenseure des droits ne préconise pas un grand plan urgent de désinstitutionnalisation », estime Olivier Paolini. « Il est urgent de sortir de l'approche médicale du handicap et de transférer les moyens financiers alloués aux établissements ségrégatifs du médico-social vers les écoles, insiste-t-il. Tant que la France n'entamera pas cette démarche, sa politique sera jugée contraire aux droits de l'Homme par les Nations unies, et de nombreux enfants en situation de handicap continueront de perdre leur chance de vivre une vie la plus ordinaire et autonome possible. »
L'Etat aux abonnés absents
« Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international », affirment les trois auteurs de la lettre de l'ONU, qui rappellent qu'une « protection en cas de violation de ces droits » doit être assurée. Pour tirer au clair cette affaire, l'ONU avait sommé, le 30 juin 2022, l'Etat français de « fournir toute information ou commentaire complémentaire en relation avec ces allégations » ainsi que les mesures prises par l'Education nationale pour enquêter sur les préoccupations soulevées par M. Paolini dans un délai de soixante jours. Début septembre, le courrier de l'ONU et les revendications du lanceur d'alerte restent sans réponse. Ce dernier a donc décidé de rendre sa requête publique.
« Tout le monde est au courant de la gravité de la situation dans mon IME et dans la majorité des ESMS (établissements sociaux et médico-sociaux) de France », considère Olivier Paolini. Il dénonce la « collusion complice » entre les dirigeants des associations gestionnaires, les DSDEN (directions des services départementaux de l'Education nationale), l'ARS (Agence régionale de santé) et les MDPH (maisons départementales des personnes handicapées) qui, selon lui, « agissent de concert pour entretenir une filière et nourrir l'exclusion des personnes handicapées ». « J'ai choisi de lancer l'alerte et de parler car l'omerta doit cesser », conclut-il.
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