Docu "Handicap, aux origines du combat" : un siècle de lutte

De l'ombre à la lumière. Un docu retrace un siècle de combats menés par les personnes avec un handicap physique pour revendiquer un droit fondamental, celui d'exister pleinement dans la société. "Handicap, aux origines du combat" le 23 juin sur LCP.

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« C'est un combat de près d'un siècle, qui n'a jamais été raconté en documentaire, celui que les personnes handicapées physiques ont mené pour revendiquer un droit simple, celui d'exister. » De l'entre-deux-guerres où quelques visionnaires prêchent dans le désert, à la première politique nationale du handicap votée en juin 1975, se dévoilent des décennies de luttes, d'émancipation et d'éveil politique. Éclairé par des militants en situation de handicap d'hier et d'aujourd'hui confrontés à des archives méconnues, Handicap, aux origines du combat croise l'intime et le politique. Un documentaire raconté par le comédien Jérémie Elkaïm et coproduit par l'Institut national de l'audiovisuel (Ina), diffusé le 23 juin 2025 à 20h30 sur LCP (version LSF disponible) puis disponible en replay sur lcp.fr. Interview de sa réalisatrice, Laetitia Møller...

Handicap.fr : Racontez-nous la genèse de ce projet.
Laetitia Møller :
Dans un premier temps, j'ai été sollicité pour réaliser un film institutionnel produit par l'Ina pour célébrer les 90 ans de l'association APF France handicap. Nous leur avons proposé de raconter leur histoire en l'inscrivant dans une histoire plus globale du handicap, de sa prise en charge, des luttes... Cette série, intitulée À corps et à cris, contenant trois épisodes, a été primée par la Scam (Société civile des auteurs multimédia). Cela m'a permis de découvrir les archives audiovisuelles de l'Ina sur le handicap, des images saisissantes que je n'avais jamais vues !

H.fr : Qu'est-ce qui vous a motivé à retracer l'histoire des luttes pour les droits des personnes en situation de handicap physique ?
LM :
Isabelle Foucrier, la productrice de l'Ina, et moi-même avons fait le constat qu'il n'existait aucun documentaire, à la télévision française, retraçant l'histoire de ce handicap, contrairement à d'autres qui ont été un peu plus documentés, comme les troubles psychiques. J'ai été sidérée et j'ai trouvé ça extrêmement éloquent. Cette prise de conscience s'est faite à peu près au moment des Jeux paralympiques, où de nombreuses personnes en fauteuil roulant étaient mises en lumière, sans qu'on ne connaisse vraiment leur histoire.

H.fr: Vous retracez près d'un siècle de mobilisation. Comment avez-vous agencé ce récit historique pour en souligner l'intensité militante, sans tomber dans l'encyclopédisme ?  
LM :
Mon objectif a toujours été d'inscrire ce récit historique dans une actualité contemporaine. Raconter cette histoire permet de comprendre un présent qui est extrêmement technique et opaque pour un large public, peuplé d'acronymes et de notions complexes... L'idée était de rendre lisibles les racines de ces débats et de ces enjeux, en s'interrogeant sur les effets de permanence avec le présent. C'est la raison pour laquelle ce documentaire est rythmé par des interviews et témoignages de chercheurs, mais aussi de militants et personnes handicapées d'aujourd'hui.

L'enjeu était aussi de dégager des grands mouvements, et ne pas se perdre dans une chronologie factuelle qui serait indigeste, mais de mettre l'accent sur les grandes évolutions qui ont marqué cette histoire. Par exemple, le passage d'une vision médicale avec une injonction à la rééducation extrêmement forte dans les années 1950, à une progressive politisation du sujet. Il a évidemment fallu faire des choix et omettre certains détails techniques pour que le message puisse être accessible à tous. Un conseiller historique veillait à ce qu'on ne commette pas d'erreur par simplification. 

H.fr : Qu'avez-vous appris lors de la réalisation de ce documentaire ?
LM :
Qu'il y avait eu de nombreuses luttes ; une lutte centenaire, qui évolue au fil du temps, se transforme... Les personnes handicapées n'ont pas été des sujets passifs ayant bénéficié de politiques publiques, elles les ont elles-mêmes suscité, ont revendiqué, exprimé leurs désaccords... C'était important de monter qu'elles ont été actives dans la conquête des droits.

H.fr : Ce documentaire est particulièrement riche en matière d'images, comment avez-vous travaillé pour rassembler les témoignages et les archives qui le structurent ? 
LM :
C'est effectivement sa grande valeur ajoutée. Nous avons principalement puisé dans les archives de l'Ina, mais aussi d'autres fonds, comme celui du ministère des Armées, des sanatoriums de Berck...

H.fr : Avez-vous été surprise par certaines découvertes historiques au cours de vos recherches ?
LM :
J'ai été de découvertes en découvertes car, comme la très grande majorité des Français, je ne connaissais pas du tout cette histoire. La grande politisation dans les années 1970 m'a particulièrement interpellée. Des mouvements radicaux émergent, certes minoritaires, mais extrêmement inventifs et avant-gardistes, avec des revendications comme la désinstitutionalisation. Le documentaire montre notamment des actions coups de poing avec des personnes handicapées déboulant sur des terrains de course. Jusqu'alors, régnait une tradition de mobilisation peu véhémente et de conciliation avec les pouvoirs publics. Du moins c'est ce que j'imaginais...

J'ai aussi été touchée par les images de la tuberculose osseuse, qui montrent les violences qu'ont pu subir les personnes handicapées, avec une très forte injonction à la « réadaptation ». Les patients devaient notamment rester allongés pendant des mois voire des années, avec le corps plâtré.

H.fr : Y a-t-il un témoignage qui vous a particulièrement marqué ?
LM :
Celui de Nicolas Houguet, écrivain et journaliste en fauteuil roulant, qui dit : « J'ai rêvé de plein de choses, d'écrire des livres... Mais je n'ai jamais rêvé de marcher ». Il dézingue le « validisme », qui estime notamment le fait que se mouvoir sur ses deux jambes serait un idéal à atteindre.

H.fr : Pourquoi avoir fait le choix d'insister sur l'entre-deux-guerres et avoir été plus concise sur la période 1975-2005 ?
LM :
Là encore, il a fallu faire des choix pour éclairer un récit déjà extrêmement dense. On sort ce documentaire au moment du cinquantenaire de la loi de 1975. Donc on a décidé de s'intéresser à tout ce qui la précédait avant de passer, comme dans une grande conclusion, à tout ce qui les succède. Retracer un siècle entier d'histoire aurait été quelque peu indigeste en 52 minutes donc nous avons centré le débat sur cette première politique nationale du handicap, cette fondation, qui a permis de passer du désert dans les années 30 à un premier socle législatif. La période des années 75 à aujourd'hui mériterait sans doute un autre film...

H.fr : Quel est le moment clé qui, selon vous, a permis de faire évoluer la perception de la société sur le handicap ?
LM :
Je ne positionne pas du tout en tant que spécialiste donc je vais un peu botter en touche. Mais je pense qu'on n'est pas du tout sorti d'un regard imprégné de charité. Aujourd'hui, elle ne se matérialise plus forcément par des dons dans la rue mais par exemple par le Téléthon. Beaucoup de choses ont tout de même évolué, notamment à la faveur de ces militants des années 70 qui ont opéré un changement dans la façon de se représenter, de dire, avec des discours qui ne s'embarrassaient pas de compromis et proclamant : « Il y en a marre qu'on parle à notre place ! ». Je ne sais pas si ce mouvement a vraiment initié un basculement, car il n'a pas duré très longtemps, mais à voir, c'est assez saisissant !

Je ne sais pas vraiment ce que recouvre cette notion de « changement de regard » mais mes films, à l'instar de L'énergie positive des dieux, qui met en lumière le groupe de rock Astéréotypie, composé de chanteurs et musiciens autistes (Astéréotypie : rockeurs autistes dans un docu tourbillonnant), essayent de déplacer le regard, de renvoyer à des questions plus larges, telles que la « normalisation », l'injonction à l'adaptation sociale. En somme, des questions qui nous concernent tous. En effet, nous sommes tous enjoints à s'adapter, à correspondre à une norme, c'est une violence et une oppression que chacun peut ressentir à son échelle. Est-ce aux personnes handicapées, au prix d'efforts individuels énormes, de rééducation physique extrêmement éprouvante, de s'adapter, ou est-ce à la société de se rendre accessible ?

H.fr : Votre film porte-t-il un message particulier à destination des décideurs politiques et du grand public ?
LM :
En tant que réalisatrice « valide », je ne voulais pas parler à la place des personnes handicapées. En revanche, ce que je peux faire, c'est donner la parole à des militants, des chercheurs... Dans le film, quatre intervenants sur cinq sont en situation de handicap, donc directement concernés par la question. C'était important pour moi.

La seule chose que je peux dire, c'est que la question du handicap nous concerne tous, et tant que la société toute entière ne s'en emparera pas, et ne défendra pas cette société inclusive comme un destin commun qui apportera du bénéfice à tous, on aura du mal à avancer...

H.fr : Avez-vous d'autres projets en lien avec le handicap en préparation ?
LM :
Par pour le moment, je ne suis pas spécialiste de la question. Mais beaucoup de questions m'intéressent à travers ces thématiques, notamment celle de la « norme ». J'ai l'impression qu'on a toujours le sentiment, face à des personnes handicapées, autistes, d'être du « bon côté de la ligne », d'être ceux qui n'ont pas de problème, pas de « déficience »... Et je pense qu'on aurait tout à gagner à adopter une autre manière de penser et à s'émanciper de cette « norme ».

Photo en noir et blanc des militants des années 70 avec le titre du docu.
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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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