*Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées du 13 au 19 novembre 2017
Handicap.fr : « Ce gouvernement sera-t-il le premier à relever le défi de l'emploi des personnes handicapées » était la question posée lors de la conférence de presse de l'APF (Association des paralysés de France) sur l'emploi le 6 novembre 2017. Une première impression ?
Alain Rochon : Le constat aujourd'hui est à peu près le même qu'en 2016. On tangente toujours les 500 000 chômeurs en situation de handicap, avec des périodes d'inactivité très longues. Le constat est amer car l'emploi ne s'améliore pas.
H.fr : Rien de nouveau à l'horizon ?
AR : Jusqu'à maintenant, on ne peut pas dire qu'il y a eu un véritable plan de lutte contre le chômage des personnes handicapées. Pour autant, depuis le CIH (Comité interministériel du handicap) du 20 septembre dernier, le sujet est abordé avec une communication plutôt positive, avec, notamment, plusieurs annonces en matière de formation.
H.fr : Un plan de 15 milliards d'euros, pour tous les publics, ce n'est en effet pas rien…
AR : Oui, nous espérons pouvoir en profiter car si on veut sortir notre pays du chômage, il faut travailler avec les populations les plus éloignées de l'emploi. Le problème, c'est que les personnes handicapées au chômage ont en moyenne 47 ans et ne sont pas les plus faciles à former. Encore faut-il, par ailleurs, que les centres de formation soient accessibles. Pour aller vers les bonnes solutions, il faut être assis autour de la même table, ce qui n'est pas le cas. Une mission a été confiée à Dominique Gillot sur ce thème qui doit rendre ses conclusions en mars 2018 mais, d'ici là, pas mal de loi auront été votées et il sera certainement trop tard ; ce rapport ne sera pas synchrone avec la rapidité avec laquelle le gouvernement agit. En dernier lieu, on va former des générations de personnes handicapées mais trouveront-elles pour autant un emploi ?
H.fr : L'emploi accompagné (qui vise à sécuriser employé comme employeur) est également inscrit au projet de loi de finances 2018. C'est une bonne chose…
AR : Oui puisqu'il vise l'inclusion en milieu ordinaire. Mais l'enveloppe dédiée de 5 millions d'euros en 2018, plus 2 millions apportés par l'Agefiph, ne permet de former que 1 500 parcours sur un an quand 500 000 pourraient être concernés. La réponse n'est pas à la hauteur des attentes. Pour le virage inclusif souhaité par Sophie Cluzel, secrétaire d'État en charge du Handicap, il faudrait mettre un peu plus de carburant dans le moteur. Cela fait 15 personnes en moyenne par département. Notre délégation de l'Hérault a mis en place AFP'inity, une plateforme numérique qui permet d'accompagner de façon personnalisée. En un an, plus de 30 personnes ont été accompagnées et 13 ont trouvé un emploi…
H.fr : Une autre préoccupation, c'est la survie des deux fonds dédiés à l'emploi des personnes handicapées…
AR : L'Agefiph (pour le privé) vient de fêter ses 30 ans et j'espère qu'il pourra fêter ses 31. Le Fiphfp (pour le public) n'est guère en meilleure posture. Que va devenir ce système devenu exsangue à cause de trop nombreuses ponctions ? D'autant que, dans le même temps, leur résultats ne sont pas exceptionnels : un taux de 3,3% de personnes handicapées en emploi pour l'Agefiph et un peu plus de 5 pour le Fiphfp. Il y a des réflexions en cours, comme le rapprochement des deux fonds, un prélèvement sur la masse salariale, mais elles ne sont pas rendues publiques. L'APF est totalement ouverte au dépoussiérage du dispositif actuel qui ne donne pas les résultats escomptés, en s'inspirant de modèles existant en Europe et dans le monde. Nous attendons que le gouvernement fasse des propositions.
H.fr : Vous lancez un appel aux entreprises pour les inviter à témoigner de leur satisfaction en matière d'emploi de personnes handicapées. Ou pas !
AR : En effet, 8% d'entre elles n'ont jamais tenté cette expérience. Alors nous disons à celles qui ont franchi le pas, dites-nous honnêtement si vous en êtes contents. La personne handicapée a-t-elle été un moteur ou le contraire ? Cela a-t-il changé l'état d'esprit de vos équipes ? Dites-le aux chefs d'entreprises qui recrutent, échangez, parlez-en. Dites aussi ce qui ne va pas !
H.fr : Un deuxième appel est lancé cette fois-ci à Muriel Pénicaud, ministre du Travail…
AR : Oui car la ministre dit que le chômage des personnes handicapées est un sujet qui préoccupe le gouvernement mais, dans le même temps, il prend des décisions brutales et pas concertées. Je peux comprendre, comme le dit Emmanuel Macron, qu'il faille transformer la société française au pas de charge mais lorsqu'on observe le cadre général des ordonnances sur le travail, il ressort très peu de choses pour les travailleurs handicapés. Et je ressens, avec ma sensibilité de chat écorché, que le handicap ne va pas être une priorité des chefs d'entreprises.
H.fr : Et puis, au cœur de l'été, la « bombe » du gel des contrats aidés…
AR : Nous apprenons autour du 15 août que les contrats aidés sont le mal absolu et, pour des raisons budgétaires, que je comprends intellectuellement, on annonce une baisse brutale ; elle impacte les personnes les plus éloignées de l'emploi pour lesquelles ce dispositif était une vraie béquille et qui pouvaient ainsi progresser vers le milieu ordinaire à condition d'avoir de la formation et des moyens. La moyenne de réinsertion en milieu ordinaire serait de 25% au niveau national ; à l'APF, elle est de 40%. Ce gel nous impacte dans tous les secteurs : dans nos délégations, dans nos entreprises adaptées, dans nos établissements médico-sociaux… Si le gouvernement voulait se montrer désagréable avec les associations il ne s'y prendrait pas autrement. Le problème, c'est qu'il n'y a pas eu d'étude d'impact de cette mesure…
H.fr : Et, selon vous, quel est cet impact ?
AR : Seulement 200 000 contrats aidés en 2018 mais il parait que le secteur du handicap s'en sort bien. Or 50% sont dédiés à l'accompagnement des élèves handicapés et ne concernent pas spécifiquement les travailleurs en situation de handicap. Les associations qui sont fléchées en priorité sont celles relevant de l'urgence sanitaire et sociale, ce qui n'est pas le cas de l'APF. Parmi les 200 000 contrats restants, heureuses seront les personnes handicapées qui pourront y prétendre.
H.fr : N'y-a-t-il pas malgré tout des choses à repenser dans ce système de contrats aidés ?
AR : Si, bien sûr. Nous ne sommes pas contre une réforme mais certainement pas aussi totale ; plus que le fond, c'est la forme qui nous dérange. Depuis trente ans, ils ont été le principal vecteur de l'emploi des personnes handicapées et permettent le fonctionnement d'établissements qui ne pourraient pas faire sans. Comment lutter quand ces outils disparaissent si brutalement ? On peut toujours attendre de voir ce que donnera la mission sur la formation portée par Jean-Marc Borello ; peut-être le budget 2018 nous réservera-t-il de bonnes surprises ? Edouard Philippe a déclaré que les contrats aidés n'étaient pas une bonne solution pour régler le chômage ; nous sommes prêts à en débattre mais, que diable, qu'on nous y invite. Si le sujet est bien traité, avec la bonne formation et le bon accompagnement, cela peut donner des résultats positifs.
H.fr : La cerise sur le gâteau, c'est la baisse des aides aux entreprises adaptées (article complet en lien ci-dessous) ?
AR : En effet, une baisse globale sur l'ensemble de la prise en charge de l'aide au poste et surtout de la subvention spécifique. C'est une catastrophe pour le secteur adapté qui risque d'être impacté très lourdement. L'Unea (Union des entreprises adaptées) a alerté Emmanuel Macron et Muriel Pénicaud dans une lettre le 6 novembre.
H.fr : Etes-vous inquiet ?
AR : Oui, et peut-être même plus que d'habitude. Ce gouvernement mène une politique de stop and go que j'ai du mal à comprendre. Brutale, sans aucune concertation. Nous n'avons aucune transparence sur les sujets qui nous concernent. Nous approuvons le fait qu'il faille faire des réformes mais la méthode n'est pas la bonne car les personnes concernées ne sont pas associées aux réflexions. Nous sommes évidemment agacés par ces mesures que nous découvrons via le CIH, les différents textes de loi… Et c'est peut-être pour ces raisons que nous sommes plus inquiets que les autres années.
H.fr : L'APF ne doit-elle pas aussi être force de propositions ?
AR : Oui et nous agissons. Le frein majeur, c'est l'absence de connaissance du terrain. C'est pourquoi nous lançons, dans le cadre d'une convention nationale avec l'Agefiph, une collection L'emploi et moi, une série de programmes courts qui décryptent le rôle des acteurs de l'emploi et sera diffusée lors de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées du 13 au 19 novembre. D'autres initiatives encore (article en lien ci-dessous) comme le développement des compétences dans le champ des outils informatiques sous toutes leurs formes. Nous allons vers une société de plus en plus numérisée et il ne faudrait pas que les personnes handicapées subissent cette fracture. C'est un domaine qui m'obsède ! Depuis 1933, l'APF râle, revendique mais apporte aussi des solutions… Je réaffirme notre volonté de co-construire. C'est, je crois, ce que voulait le candidat Macron. Alors je dis : « Chiche ! ».