Emploi et handicap : le ministère des Armées à la traîne?

Les agents civils en situation de handicap ne représentent que 4 % des effectifs du ministère des Armées, bien loin du taux légal de 6 %. Un chiffre "ambitieux", dit-on en interne, mais aussi un cap "nécessaire" à atteindre d'ici 2024.

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Une centaine. C'est en moyenne le nombre de recrutements de personnels civils en situation de handicap au sein du ministère des Armées effectués chaque année. Un chiffre dont ne peuvent se contenter les initiateurs du « Plan handicap et inclusion 2022-2024 » présenté le 11 mars 2022. Depuis 2001, le ministère des Armées fixe tous les deux ans des orientations et des objectifs pour améliorer l'insertion et le maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap (article en lien ci-dessous). Ce septième plan s'inscrit dans la continuité du précédent (2019-2021) avec la reconduction de la convention avec le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp) (article en lien ci-dessous), le renforcement des partenariats avec des structures extérieures (Cap emploi régionaux, écoles de reconversion, Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées), le développement de l'accessibilité des établissements du ministère...

4 % de travailleurs handicapés

Le plan 2022-2024 dont l'enveloppe s'élève à plus de cinq millions d'euros se décline en trois axes avec un premier accent porté sur le recrutement externe de civils handicapés. Ils occupent actuellement 2 800 postes au sein du ministère des Armées sur un effectif total de plus de 63 200 civils, soit environ 4 %. Or, ce taux n'a pas bougé depuis 2005, voire a même baissé puisque le ministère de la Défense de l'époque annonçait qu'il s'élevait alors à 4,52 % et que le taux légal de 6 % serait atteint en 2009... 17 ans plus tard, force est de constater que l'objectif n'a pas été rempli. Du moins pas tout à fait, si l'on s'en tient aux seuls effectifs des personnes en situation de handicap. Si l'on y ajoute les bénéficiaires de l'obligation d'emploi (BOE), à savoir, les emplois réservés, les emplois d'enfants de harkis ou encore les veuves de guerre, ce taux passe de 4 à 7 %. Un chiffre biaisé selon Pierre Laugeay, haut fonctionnaire handicap et inclusion au sein du ministère des Armées, qui préfère se focaliser sur l'indice minimum, « plus réaliste ».

Pourquoi ça ne bouge pas ?

« Si les chiffres de l'emploi des personnes handicapées ont du mal à progresser, c'est d'abord parce que les flux de départ sont importants, la moyenne d'âge des personnels en poste étant supérieure à 52 ans », explique-t-il. La persistance de clichés tant du côté de l'employeur que de celui des personnes handicapées, freinant les nouvelles embauches, tient aussi sa part de responsabilité dans cet immobilisme. « Quand on pense 'ministère des armées', on pense 'militaires', tout en excluant la possibilité de l'emploi des civils. A tort puisque nous proposons des emplois dans tous les domaines d'activité du ministère. A l'inverse, nous devons travailler sur l'image du handicap en interne afin que que les employeurs voient les personnes handicapées non pas à travers leurs contraintes mais à travers leurs talents », explique-t-il. Et d'ajouter, lucide : « On a vraiment un travail de pédagogie à fournir ». A commencer, selon lui, par la déclaration du handicap et le renouvellement des documents d'éligibilité. En d'autres termes, il s'agit d'inciter le personnel à déclarer un handicap qui survient au cours de la carrière. « Une maladie chronique évolutive peut en effet avoir un retentissement majeur sur la vie quotidienne et notamment professionnelle », explique Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées. Or, il existe de multiples cas d'affections longue durée qui peuvent être reconnues comme un handicap (cancer, diabète, maladies chroniques évolutives…). Oser en parler peut déboucher sur un ensemble de droits et d'accompagnements spécifiques comme des services et aides financières du Fiphfp pour couvrir les frais liés à la compensation du handicap ou l'éligibilité à la retraite anticipée. C'est ce que confirme Charles-Marie, ingénieur civil de la défense : « Ayant moi-même à la fois un handicap visible comme invisible, je pense qu'il ne faut pas hésiter à faire reconnaître son handicap. Bien que la démarche de reconnaissance soit un peu longue, le statut en vaut la peine puisqu'il permet d'ouvrir de nouvelles voies professionnelles ».  

Améliorer les aménagements de poste

Enfin, le troisième axe de ce plan vise à « assurer une compensation du handicap pour l'amélioration des conditions de travail ». Cette mention inscrite dans la loi du 11 février 2005 (article en lien ci-dessous), signifie que l'employeur doit réaliser les aménagements nécessaires pour permettre au salarié en situation de handicap de travailler dans les meilleures conditions. Cela peut passer par l'accessibilité numérique, des bâtiments, la mise en place de télétravail… « L'aménagement de poste permet de poursuivre son activité professionnelle, élément qui peut psychologiquement s'avérer primordial », affirme de son côté Valérie, salariée du ministère des Armées depuis 33 ans et en situation de handicap depuis 2017.

Objectif 2024

« Certes il n'y a pas eu de révolution depuis le premier plan handicap, mais il y a eu des évolutions de mentalités qui dépassent la seule dimension de l'emploi », observe Pierre Laugeay, citant l'exemple du recrutement de personnes autistes Asperger dès 2018, « sur la base de leurs compétences particulières », grâce à une convention signée avec le dispositif Aspie-Friendly. Il y a aussi eu des évolutions structurelles, avec la création de 120 relais handicap partout en France, basés dans les groupements de soutien des bases de défense (GSBD). La réélection d'Emmanuel Macron en tant que président de la République, et donc chef des Armées, assure à ces 63 000 agents civils une continuité de la politique handicap au sein du ministère des Armées. « L'accessibilité va probablement être l'un des éléments prioritaires de l'action interministérielle et gouvernementale. On travaille déjà dessus mais je pense qu'il y aura encore des avancées », affirme Pierre Laugeay. Cap maintenant sur 2024 avec ce même objectif, inchangé depuis 17 ans : atteindre les 6 %. %. « Un réel défi et une volonté », reconnaît le haut fonctionnaire. Et d'ajouter : « Ce chiffre est ambitieux mais nécessaire pour avancer. Dire qu'on l'atteindra, je ne le garantirai pas à 300 %, dire qu'on va essayer de 'tendre vers', oui ! »

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"
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