Handicap.fr : Dix enfants en situation de handicap ont récemment été agressés sexuellement, dont trois violés, dans un IME parisien. Le scandale a été dévoilé par l'un d'eux, grâce à la Communication alternative améliorée (CAA). (Le témoignage de sa maman dans cet article : Viol dans un IME: à 14 ans, il brise l'omerta grâce à la CAA). Les enfants non-oralisants sont-ils particulièrement en proie aux violences sexuelles ?
Marie Rabatel, membre de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA) : Plus on cumule des vulnérabilités, plus on est une proie idéale pour les agresseurs. Les enfants handicapés non-oralisants en cumulent trois donc c'est « jackpot »... L'agresseur est convaincu qu'ils ne dévoileront pas ce qui s'est produit car tous les enfants ne disposent pas d'outils adaptés pour communiquer.
H.fr : Des statistiques existent-elles pour révéler l'ampleur du problème ?
MR : Pas sur cette population spécifique et, généralement, l'absence de chiffre révèle qu'on ne veut surtout pas voir... Il y a encore une invisibilité au niveau des recueils de données relatives aux personnes handicapées. C'est très bien ce qui a été réalisé dans le cadre de la Ciivise mais elle ne s'est pas penchée sur le sort des personnes en institution... Or elles ne disposent pas toutes des mêmes possibilités.
Pour signaler une violence, qu'elle soit sexuelle ou non, il faut composer un numéro, savoir lire, écrire pour témoigner, puis se déplacer pour participer à des réunions publiques, généralement le soir, ce qui est compliqué quand on réside dans un établissement médico-social, et non accessibles à tous (absence de traduction en langue des signes française notamment).
H.fr : En quoi la CAA est-elle capitale pour mettre fin à ce fléau ?
MR : La CAA permet à l'enfant ou à l'adulte de pouvoir s'exprimer et être compris. On a tendance à penser qu'une personne qui n'oralise pas n'a rien à dire, c'est complètement FAUX ! Alors, elle n'est pas entendue... La communication non verbale, corporelle par exemple, est très importante, mais personne n'y prête attention. Pouvoir s'exprimer est un droit. Le fait de ne pas proposer d'outils de communication aux personnes non-oralisantes revient à les bâillonner et à « violer » leurs droits.
H.fr : C'est la raison pour laquelle vous militez pour développer ces dispositifs. De quelle manière ?
MR : J'ai beaucoup travaillé avec le Centre national de la police judiciaire. On s'est aperçu que le protocole Nichd (une technique d'audition qui vise à recueillir le témoignage des enfants témoins et victimes dans les meilleures conditions) n'était pas adapté aux enfants avec certains handicaps, comme les non-oralisants ou ceux avec autisme. Nous avons donc réalisé des « fiches réflexes » à destination des gendarmes pour améliorer leur connaissance des différents handicaps et la conduite à tenir pour faciliter le recueil de la parole. Ces fiches insistent également sur le fait d'avoir recours aux outils que ces jeunes utilisent au quotidien pour communiquer (pictogrammes, tablettes...).
H.fr : La stratégie nationale de lutte contre les maltraitances 2024-2027, dévoilée le 25 mars 2024, promet de développer la CAA dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux en 2025. Une belle victoire ?
MR : Bien sûr mais ça a mis du temps... Il faut maintenant s'assurer que ces outils sont accessibles à tous, et pas seulement dans un territoire ou pour une catégorie de personnes. TOUS les résidents doivent y avoir accès, TOUS !
H.fr : Votre avis sur cette stratégie ?
MR : C'est plutôt positif dans l'ensemble mais, quand on y regarde de plus près, il y a des choses à revoir... Déjà la sémantique, « maltraitance », je ne comprends pas qu'on puisse encore l'utiliser dans ce contexte. On dit « violences physiques » ou « violences psychologiques » mais, dès que l'on parle de personnes handicapées, âgées ou même des animaux, on parle de « maltraitances », ça ne choque personne ?
H.fr : D'autres éléments qui vous ont interpelée ?
MR : La stratégie aborde le contrôle d'honorabilité des professionnels du médico-social mais, ce qui est regrettable, c'est que ce n'est pas une obligation, cela relève du bon vouloir du directeur de chaque établissement. Il est dit qu'en cas de précédents dans une affaire sexuelle, l'employeur « peut » le réclamer. Mais, en fait, non, il ne PEUT pas, il DOIT ! Pour l'heure, l'obligation du contrôle des antécédents judiciaires mentionnée dans la loi ne s'applique qu'aux professionnels et bénévoles intervenant auprès des mineurs. Et les adultes alors ?
Autre point troublant : il revient à l'Agence régionale de santé (ARS) de diligenter les enquêtes sur les violences dans les établissements médico-sociaux mais on ne peut pas être financeur et contrôleur, juge et partie ! De même, toutes les enquêtes devraient être inopinées et non annoncées à l'avance.
Envie d'en savoir plus sur le rôle capital de la CAA pour en finir avec les violences sexuelles ? Découvrez les deux autres articles de notre dossier :
- Viol dans un IME: à 14 ans, il brise l'omerta grâce à la CAA
- Enfant sans parole:la CAA pour dénoncer la violence sexuelle.
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