« Le prédateur est convaincu que les enfants qui ne parlent pas ne dévoileront pas ce qui s'est produit ils ne disposent pas tous d'outils adaptés pour communiquer », s'insurge Marie Rabatel, membre de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Selon elle, « plus on cumule des vulnérabilités, plus on est une proie idéale pour les agresseurs. Les enfants handicapés non-oralisants en cumulent trois donc c'est 'jackpot'... »
La CAA : outil capital pour s'exprimer... et dénoncer
Face à ce constat, « permettre à toutes et tous de s'exprimer, notamment via la communication alternative et améliorée, est l'un des moyens les plus efficaces pour prévenir et lutter contre les violences sexuelles », estime Céline Poulet, secrétaire générale du Comité interministériel du handicap (CIH). La CAA, qui utilise différentes stratégies d'interactions (expressions faciales, langage corporel, symboles, pictogrammes, synthèses vocales, logiciels ludiques…), « doit rapidement permettre à des milliers de personnes avec une communication différente de pouvoir plus facilement entrer en relation avec leurs proches, les professionnels, pour exprimer des envies, des besoins mais aussi dénoncer des comportements inacceptables », abonde Etienne Pot, délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement.
En IME, il a brisé l'omerta grâce à la CAA
C'est grâce à la CAA que Nathan*, 14 ans, a dénoncé l'éducateur de son IME parisien, en montrant deux pictogrammes : « langue » et « fesses ». Aveu douloureux. Sans équivoque. Puis, à l'aide de son clavier alternatif avec prédiction de mots, l'adolescent détaille ce qu'il a subi la veille : « Il m'a léché le zizi. Il a dit que c'est parce que j'étais méchant et que ça devait rester secret ». Cette révélation a été l'élément déclencheur qui a permis de briser l'omerta. Découvrez le témoignage complet de sa maman dans un second article : Viol dans un IME: à 14 ans, il brise l'omerta grâce à la CAA.
« 1ère brique de l'autodétermination »
« On a tendance à penser qu'un enfant qui n'oralise pas n'a rien à dire, c'est complètement FAUX, affirme Marie Rabatel, également présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA). Pouvoir s'exprimer est un droit. Le fait de ne pas proposer d'outils de communication aux personnes non-oralisantes revient à les bâillonner et à 'violer' leurs droits. » Son interview complète ici : Enfant non-oralisant: "proie idéale" des prédateurs sexuels?.
« La CAA outil doit être la première brique de l'autodétermination, incite Céline Poulet. On doit permettre aux personnes et aux familles de trouver, où que l'on soit en France un point d'entrée à une démarche vers la CAA. »
Une « priorité » gouvernementale
C'est justement l'une des ambitions de la stratégie nationale de lutte contre les maltraitances 2024-2027, dévoilée le 25 mars 2024 (Maltraitance/handicap : le gouvernement promet des contrôles), qui promet de déployer ces outils dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux dès 2025. Cet enjeu fait également partie des « priorités » de la Conférence nationale du handicap de 2023, selon Céline Poulet.
Des signaux mis sur le compte du handicap
A défaut, le risque est de passer à côté des signaux d'alerte. « Les enfants non-oralisants victimes de violences sexuelles vont prévenir de différentes manières : ne plus manger, ne plus vouloir se laver, difficultés pour dormir, régression des acquis… Or, sans communication supplémentaire, on corrèle beaucoup plus facilement ces symptômes à une aggravation du handicap qu'à une autre cause », constate Céline Poulet. La mère de Nathan avait par ailleurs mis la fatigue inhabituelle de son fils sur le compte des fortes chaleurs et la reprise de l'IME.
Sensibiliser sur « l'impensable »
Ainsi, la sensibilisation et le fait d'être en alerte sont également de précieux remparts contre les violences sexuelles. « Il faut penser l'impensable, incite Céline Poulet. Oui, les enfants en situation de handicap peuvent être violés. » Ils ont même trois fois plus de risque que les autres, selon le rapport de la Ciivise (Ciivise: les enfants handicapés face aux violences sexuelles), a fortiori quand ils sont accompagnés dans les établissements sociaux et médico-sociaux, loin de leur famille. « Ces chiffres mériteraient d'être complétés par une enquête ciblée sur les ESMS pour connaître précisément l'ampleur du phénomène et ajuster nos actions de lutte contre les violences », ajoute Céline Poulet. En attendant, Marie Rabatel déplore « une fois de plus, une invisibilité au niveau des statistiques et des recueils de données relatives à certaines personnes handicapées ».
« Le réflexe violences sexuelles »
« Il faut collectivement protéger ces enfants et, pour cela, il faut avoir le réflexe 'violences sexuelles' dès les premiers signaux d'alerte, insiste Céline Poulet. Bien sûr, il faudra former et sensibiliser les professionnels, les parents et même les personnes elles-mêmes mais la priorité c'est d'en parler. »
Un rapport au corps différent
Enfin, « l'apprentissage du rapport au corps et la systématisation du consentement grâce à la CAA doivent également être des priorités », exhorte Céline Poulet. Les personnes en situation de handicap, « bien souvent depuis leur naissance, sont l'objet d'actes sur leur corps comme la toilette ou les soins infirmiers par exemple, sans pouvoir consentir, explique-t-elle. Cette habitude empêche la conscientisation de la violence et elles restent figées dans un rapport ambigu à leur propre corps qui ne leur appartient pas vraiment, ne sachant différencier un acte de soin d'une violence subie ».
* Les prénoms ont été modifiés pour conserver l'anonymat
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