Délaissés, moqués, parfois violentés, de nombreux enfants sont harcelés, à l'école mais aussi en dehors, en raison de leur « différence ». Ceux qui vivent avec une malformation de la fente labio-palatine (malformation de la lèvre supérieure ou bec de lièvre) ou de la peau (par exemple le nævus géant congénital) sont la cible de nombreuses discriminations entraînant une perte d'estime de soi et des difficultés à s'insérer dans la société. A tel point que, pour certains, la seule issue semble être la déscolarisation, parfois le suicide. Pour mettre fin à ce fléau, le Dr Isabelle James, chirurgien pédiatre à la Clinique du Val d'Ouest d'Ecully, près de Lyon, s'est engagée à « aller au-delà de la simple prise en charge médico-chirurgicale », en accompagnant les patients en état de souffrance morale à travers différents ateliers pratiques. Objectif ? Leur donner les moyens de répliquer face à leurs éventuels harceleurs.
Le dépistage d'éventuelles souffrances
« La prise en charge de la douleur ne s'arrête pas à la porte de l'hôpital... », telle est l'ambition des ateliers mis en place par l'association Le Trèfle, qui vient en soutien aux familles touchées par la fente labio-palatine. Le dépistage d'éventuelles souffrances psychologiques commence quelques mois après l'opération, lors des consultations de suivi des équipes (para) médicales. Plusieurs questions sont posées aux enfants pour tenter de connaître le degré d'urgence : « Comment ça se passe à la récréation ? », « Y a-t-il une limitation de tes activités ou de tes sorties à cause de ta pathologie ? », « As-tu déjà eu des questions sur tes cicatrices ? »... Selon les réponses, deux solutions sont alors proposées.
Ateliers « anti-harcèlement »
Le harcèlement est clairement identifié et les stratégies mises en place par la famille plus ou moins efficaces ? Le jeune est orienté vers des ateliers « anti-harcèlement » individuels organisés par l'association Chagrin scolaire. « Nous travaillons directement avec lui pour qu'il s'empare de sa différence avec humour et dérision, explique sa fondatrice. Il pourra ainsi faire croire à l'autre que ses attaques sont inutiles, puisqu'elles ne l'atteignent pas, et donc que le harcèlement est inopérant. » Au programme : des stratégies de réaction mais aussi des jeux de rôle lors desquels le thérapeute simule le « harceleur ».
Séances d'éducation thérapeutique
Si les spécialistes perçoivent davantage un mal-être lié à la méconnaissance de la pathologie, aux difficultés à communiquer avec l'extérieur et une sensation de l'enfant et/ou des parents de vivre une différence ayant un impact esthétique, des séances collectives « d'éducation thérapeutique handicap esthétique » sont proposées. Les enfants, répartis dans des groupes selon leur classe d'âge de 6 à 11 ans, sont notamment conviés à faire un « jeu de l'oie » qui leur permet d'évaluer leur perception de la différence, leur capacité à expliquer leur pathologie et de découvrir des outils pour gérer ses manifestations. Leur principal atout ? « Les enfants, mis en relation avec des participants ayant d'autres pathologies, sont confrontés à leurs propres réactions à l'égard de la différence, explique Isabelle James. C'est souvent très positif pour eux qui croyaient être les seuls à avoir un problème de ce type. »
Améliorer l'estime de soi
Ces deux solutions visent à améliorer l'estime de soi et à favoriser un dynamisme relationnel afin d'améliorer l'intégration scolaire et sociale des jeunes. « Lorsqu'un adulte, aussi intelligent et bienveillant soit-il, intervient entre deux enfants pour tenter de régler, à leur place, une relation conflictuelle ou difficile, au mieux il cristallise la situation, au pire il l'amplifie, estime Emmanuelle Piquet, de l'association Chagrin scolaire. Notre rôle est d'aider ces jeunes à construire, fourbir puis décocher tout seul des flèches verbales, de résistance, de défense, d'arrêt qui font que, subitement, le harceleur n'a plus envie de se frotter à sa victime. » Pour l'heure, 35 enfants ont été pris en charge, notamment grâce au soutien financier (7 000 euros) de la fondation Apicil de lutte contre la douleur. Selon les différentes associations, toutes les familles se disent « soulagées » et constatent des bénéfices sur la santé mentale de leur enfant. Prochaines étapes : décliner ces ateliers dans les autres centres de compétence français qui prennent en charge les malformations de l'enfant ayant une implication esthétique mais aussi former les personnels médicaux et paramédicaux au dépistage de ces souffrances et à leur prise en charge.
« Vouloir changer le regard de 7,6 milliards d'individus sur sa différence m'a toujours semblé utopique, conclut Béatrice de Reviers, médecin généraliste et présidente de l'association Anna qui propose également des ateliers d'éducation thérapeutique. Apprendre à savoir réagir au regard intrusif qu'on pose sur sa particularité physique me parait plus accessible et bénéfique. »