Handicap.fr : 500 postes aidés pour les travailleurs handicapés en entreprises adaptées (EA) en 2015 ; c'était l'engagement de l'État dans le cadre du Pacte pour l'Emploi signé en 2011. La bataille a été rude mais vous êtes arrivés à vos fins…
Jean-Marc Froger : Oui, en effet. Ces aides au poste ne devaient pas figurer dans le budget 2015 mais la mobilisation de l'Unea et des signataires du Pacte pour l'Emploi durant les trois dernières semaines d'octobre a porté ses fruits. Pour le coup, c'est une vraie victoire.
H.fr : La constance n'est donc jamais vaine. Comment avez-vous opéré ce tour de force ?
JMF : En alertant les parlementaires sur cette situation dramatique. Sans aide au poste, pas d'embauche et des entreprises adaptées en danger. Quinze jours non-stop à Paris pour faire du lobbying auprès des députés et alerter les ministères, avec la conviction que la messe n'était pas encore dite…
H.fr : Et les députés se sont montrés réceptifs ?
JMF : Ils ne connaissent pas vraiment le secteur adapté, nous confondent souvent avec les ESAT, et certains se montrent réellement curieux de notre démarche. Il y a encore un travail énorme de vulgarisation.
H.fr : En quoi consiste cette aide au poste ?
JMF : L'État subventionne un montant équivalent à 80% du SMIC (la totalité des charges, soit environ 45% du salaire, étant payée par l'entreprise). Cette aide a été mise en place pour compenser les surcoûts d'exploitation, notamment liés à un taux d'encadrement supérieur et à la formation de nos travailleurs, et la moindre productivité des personnes handicapées.
H.fr : Mais certains prétendent qu'elles sont au contraire surmotivées et assidues à la tâche parce qu'elles ont conscience de la valeur de leur emploi…
JMF : Ca c'est le discours d'Épinal mais il faut se rendre à l'évidence, en général leur productivité est plus faible et leur taux d'absentéisme plus important, notamment à cause de maladies invalidantes. Et puis, depuis la loi de 2005, la population a changé ; nous employons beaucoup de « seniors » de plus de 55 ans, issus du milieu ordinaire, à qui les EA offrent une solution pour finir « honorablement » leur carrière.
H.fr : On ne cesse de nous répéter que les caisses de l'État sont vides. Cet argent, il faut bien le trouver…
JMF : Lorsque l'État investit un euro dans une EA, elle récupère largement cette somme. Car si ces travailleurs handicapés ne travaillent pas, il faut tout de même les aider par le biais de l'AAH (Allocation adulte handicapé), du RSA (Revenu de solidarité active) ou du chômage… Je vous laisse faire le calcul !
H.fr : Si cela est si évident, pourquoi tergiverser ?
JMF : Parce que l'argent ne sort pas des mêmes caisses. Chaque ministère défend son propre budget…
H.fr : Une entreprise adaptée ou EA, c'est quoi ?
JMF : C'est une entreprise ordinaire qui emploie au minimum 80% de travailleurs handicapés. Aujourd'hui, en France, elles comptent 30 000 salariés dont 24 000 en situation de handicap. Parmi eux, 21 500 bénéficient d'une aide au poste.
H.fr : 500 aides en 2015, ce sera suffisant ?
JMF : Eh bien non, même si le gouvernement prétend le contraire. Je viens de prendre connaissance d'une récente étude qui affirme que seulement 98% des aides au poste sont utilisées. Mais ce n'est pas la réalité à l'instant T. Dans ma région, par exemple, Pays-de-Loire, il va en manquer 25 ou 30. Nous ne sommes pas certains que ces 500 nouvelles aides couvriront les besoins de 2015. Or, sans ce coup de pouce, nos entreprises sont réellement en difficulté et ne peuvent pas se projeter et mettre en place une stratégie à long terme.
H.fr : Certaines EA risquent donc de mettre la clé sous la porte ?
JMF : Pas tout à fait, cela ne remet pas en cause leur viabilité mais cela se fera au détriment des travailleurs handicapés. Je suis avant tout un chef d'entreprise qui doit servir ses clients. Alors peut-être que dans mes stratégies de demain, je n'emploierai plus que 80% de personnes handicapées au lieu de 95%. Or nos entreprises n'ont de sens que si elles offrent du travail à ceux qui sont éloignés de l'emploi. 400 000 en France !
H.fr : 500 aides ont été accordées pour 2015 mais vous en réclamiez 1 000 sur deux ans ? Quid des 500 restantes ?
JMF : Nous n'en savons rien pour le moment mais nos actions se poursuivent et nous avons bon espoir. Il est vrai que ce flou complique nos stratégies ; on nous demande de faire des projections sur trois ans sans savoir combien d'aides au poste nous seront accordées l'année suivante. Alors, tous les ans, on remet ça ; le même combat !
H.fr : Le 17 novembre 2014, s'ouvre la Semaine pour l'emploi des personnes handicapées ; les EA y sont-elles associées ?
JMF : Vous savez, pour nous, l'emploi des personnes handicapées c'est toute l'année ! Nous n'attendons pas cet éclairage médiatique ponctuel pour mener nos actions. Alors, évidemment, pas question de la boycotter mais elle ne nous emballe pas spécialement.
H.fr : Et qu'est-ce qui vous emballe ?
JMF : Je suis heureux lorsque mes salariés handicapés se sentent valorisés. Je suis heureux lorsque mes donneurs d'ordre oublient que nous sommes une entreprise adaptée. C'est la reconnaissance de la performance des EA et du professionnalisme des personnes qui y travaillent qui me donne une belle occasion de me réjouir…