"La ségrégation (à l'école) reste une triste réalité en Europe", soutient Nils Muiznieks, le commissaire aux droits de l'Homme au sein du Conseil de l'Europe (dont la mission est de promouvoir la prise de conscience et le respect des droits de l'homme dans les 47 Etats membres), dans un rapport très critique publié le 12 septembre 2017 (en lien ci-dessous). "Elle sape clairement les futures perspectives d'emploi et de salaire de nombreux enfants et adolescents".
Une réalité très différente
Enfants handicapés, enfants des gens du voyage, migrants ou réfugiés, enfants déscolarisés sont les victimes de cette ségrégation et elle justifiée par les gouvernements européens par les nombreux blocages de la société, souligne le commissaire. Les Etats ont l'obligation de lutter contre la ségrégation à l'école mais la réalité est très différente. "Les autorités nationales et locales ne respectent pas toujours leurs obligations et cèdent souvent à différentes pressions exercées notamment par l'administration scolaire, le corps enseignant, d'autres professionnels et par les familles", écrit-il.
Et les enfants handicapés ?
En ce qui concerne les enfants handicapés, le rapport observe que leur scolarisation dans des établissements distincts est une pratique courante en Europe, alors même que l'article 24 de la Convention de l'Onu relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) oblige les États à veiller à ce qu'ils "puissent, sur la base de l'égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où [ils] vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l'enseignement secondaire". Le Commissaire se dit "gravement préoccupé" par la ségrégation scolaire des enfants handicapés lors de plusieurs visites et dans ses rapports ultérieurs sur ces pays et a attiré l'attention sur cette forme de ségrégation fréquente, qui reste largement acceptée en Europe. "De nombreux pays ne considèrent toujours pas l'inclusion de ces enfants comme une obligation exécutoire dans le système scolaire ordinaire. Certains semblent même accepter une certaine ségrégation et renommer les formes de ségrégation dans l'éducation pour les désigner par une appellation plus acceptable, voire les qualifier d'éducation inclusive", souligne-t-il.
Séparés de leurs camarades
De plus, l'accès aux établissements ordinaires n'est pas toujours une garantie d'inclusion : dans la pratique, les enfants handicapés restent souvent séparés de leurs camarades -même s'ils sont accueillis sous le même toit-, et ne sont scolarisés qu'à temps partiel ou sont écartés des activités périscolaires. Leur taux de décrochage scolaire est également beaucoup plus élevé. Cette situation est généralement due à un manque de ressources ne permettant pas de garantir l'accessibilité et de proposer un accompagnement individuel. Les soutiens existants ont même parfois été supprimés dans le cadre des politiques d'austérité.
En structures spécialisées
Les enfants handicapés qui sont scolarisés dans des structures spécialisées obtiennent rarement un diplôme reconnu et ont un accès limité à l'enseignement secondaire et supérieur. Malgré le manque de données fiables, il semble que les élèves suivant un enseignement spécialisé parviennent rarement à intégrer un établissement ordinaire. Le Commissaire a souligné à maintes reprises que la ségrégation scolaire des enfants handicapés ne pouvait que perpétuer la marginalisation sociale des personnes handicapées et aggraver les préjugés à leur égard. Il insiste également sur le fait que ceux placés en institution sont particulièrement concernés par la ségrégation scolaire.
12 mesures
Nils Muiznieks préconise 12 mesures, réclamant notamment la force de la loi. "La législation interdisant la discrimination doit être explicite pour éviter les situations où la tradition, la liberté de choix, le consentement parental ou la ségrégation urbaine servent à légitimer la discrimination et de fortes concentrations d'enfants roms, d'enfants d'origine immigrée ou d'enfants handicapés dans des établissements spécifiques", soutient-il. L'Union européenne prévoit des financements pour cela et "les Etats devraient en tirer pleinement parti", affirme-t-il. Le commissaire letton réclame par ailleurs l'interdiction du recours à des tests comme outil de sélection dans les établissements scolaires, et préconise des évaluations des besoins des élèves. Il suggère aussi d'affecter les meilleurs enseignants dans les établissements les plus difficiles. "Il n'est guère fréquent que la promotion d'un enseignant soit liée à son affectation dans un établissement situé dans un quartier socialement et économiquement défavorisé", souligne-t-il.
Changer les mentalités
Mais le succès de la lutte contre la ségrégation à l'école impose avant tout un changement dans les mentalités : "Les dirigeants politiques, l'administration scolaire, les enseignants et les familles résistent parfois activement aux changements qui risquent de modifier une situation relativement privilégiée de l'éducation", souligne-t-il. "Les parents de la population majoritaire préfèrent inscrire leurs enfants dans des établissements qui ne comptent aucun élève des groupes minoritaires ou migrants", déplore-t-il.