« C'est difficile d'être respectée comme une personne, on est perpétuellement un enfant, un légume dont on peut abuser ou une icône de misère à cajoler et sur laquelle pleurer. Je crains de sortir seule et de tomber sur un abruti, de me faire toucher sans mon consentement, au final je ne me sens pas 100 % humaine. Un enfant, un sous-individu, l'estime de soi en prend un coup. Pourtant je suis major de promo, mais en fauteuil, rien n'est pareil... On est en dessous », témoigne une jeune femme en situation de handicap moteur. « On a beau être en 2019, être une femme est compliqué. En situation de handicap, c'est pire », résume une autre. Une double peine, à perpétuité, qui complique la vie quotidienne d'une écrasante majorité d'entre elles. Cerise sur le gâteau ? Elles sont parfois réduites au silence ou non entendues. Pour leur donner voix au chapitre, l'association APF France handicap publie un plaidoyer (en lien ci-dessous), en amont de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2020. Au sommaire : 3 120 témoignages déconcertants qui mettent en exergue les obstacles entravant leur autonomie et leur liberté.
Corps, intimité : des femmes « au rabais »
Près de 40 % des sondées ont déjà été ou sont actuellement victimes de discriminations tandis que 27 % des femmes en général disent en avoir subi en raison de leur sexe. Répondre aux canons esthétiques et à la vision de la féminité imposés par la société actuelle constitue l'une des difficultés majeures pour les femmes en situation de handicap. « Soit elles sont vues comme asexuées, soit elles ne sont pas assez sexuées et renvoyées au fait qu'elles ne sont pas de 'vraies femmes' en ce que cela comporte de préjugés sexistes, car considérées 'incomplètes' », déplore APF France handicap. « Acceptez le handicap et, par conséquent, cesser de n'accepter que les corps parfaits », plaide l'une d'elles.
Vulnérabilité accrue
« D'autre fois encore, elles sont vues comme de simples objets sexuels et victimes de violences », poursuit l'association. Quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de violences, soit plus de deux fois plus que les « valides ». « Physiques, sexuelles, psychologiques, verbales, financières... J'ai subi tout type de violences et suis souvent considérée comme un morceau de viande sur roulette », révèle l'une d'entre elles, polyhandicapée. Même constat pour cette autre femme : « Une ostéopathe m'a dit que mon corps était dans le même état que celui d'une personne ayant vécu la guerre ». Les facteurs aggravants ? L'âge et la santé mentale. Les jeunes de moins de 25 ans et celles étant en situation de handicap psychique seraient particulièrement concernées. De même, alors que 14,5 % des Françaises âgées de 20 à 69 ans affirment avoir subi des violences sexuelles au cours de leur vie, ce chiffre passe à 90 % pour celles atteintes d'autisme. Pour certaines, au-delà des violences, c'est l'indifférence qui détruit : « Celles exercées par mon conjoint durant des années n'ont jamais été reconnues par la justice ». « Dans le cadre de la justice, être en situation de handicap psychique rend 'moins crédible' une plainte pour violence », regrette une autre.
Accès restreint à l'éducation et l'emploi
L'accès à l'éducation leur est également limité. Inadaptation des épreuves, inaccessibilité des salles et des documents, retraits de point pour les cours ratés à cause de la fatigue, stigmatisation, rejet... Selon l'enquête d'APF France handicap, 30 % des femmes handicapées ont le sentiment d'avoir été discriminées lors de leurs études. « Je n'ai pas pu faire le métier que je voulais, avocate, on m'a orientée d'office en secrétariat », témoigne Armelle. « Les enseignants pensaient que je simulais des douleurs », « Accueillie en école de cadres sur concours, il fallait une tête de turc, j'ai été désignée. Ils me l'ont dit les yeux dans les yeux. J'avais 20 ans », expliquent deux autres. Par ailleurs, plus diplômées que leurs homologues masculins, leur taux d'inactivité est pourtant supérieur. Plus de 70 % des répondantes ne travaillent pas, tandis que les autres, sont majoritairement à temps partiel (57 %) et occupent un emploi peu qualifié. Seul 1 % des femmes handicapées sont cadres, contre 14 % des femmes « valides », elles-mêmes discriminées par rapport aux hommes (21 %). « Pendant les entretiens d'embauche, mes interlocuteurs veulent toujours savoir quel est mon handicap et, quand c'est chose faite, finissent inexorablement par me refuser le poste », explique une femme présentant des troubles psychiques. « J'ai demandé pourquoi on ne m'avait pas engagée. On m'a répondu : 'Sur ton travail rien à dire, c'est ton physique qui ne plaît pas' », ajoute une femme avec un handicap moteur.
Précarité et dépendance humiliantes
Par conséquent, nombre d'entre elles sont touchées par la précarité et peinent à subvenir aux dépenses courantes. En 2019 le seuil de pauvreté était établi à 1 041 euros, tandis que l'AAH (allocation adulte handicapé) à taux plein est de 900 euros. L'AAH prenant en compte les revenus de leur conjoint, elles sont nombreuses à la voir réduite voire supprimée. De la précarité à la dépendance, il n'y a qu'un pas. Près de 80 % des répondantes se sentent dépendantes d'un proche (conjoint, parent, aidant familial) en matière de revenu ou encore d'aide humaine. Une position « humiliante », pour nombre d'entre elles. « Cette dépendance financière inadmissible ne permet pas la liberté de choix du lieu et du mode de vie, fait renoncer aux soins, vulnérabilise, est susceptible d'engendrer des violences et, en tout cas, une précarité qui a évidemment un fort impact sur la vie quotidienne et parfois la met en danger », estime APF France handicap. « Très difficile de prévoir sa vie sur plus de deux mois », affirme l'une d'elles. Sans parler des mères célibataires... « Un enfant d'une personne handicapée est-il censé subvenir aux charges du foyer ou préparer son avenir ? », questionne une quinquagénaire.
Santé en péril
Autre obstacle majeur : l'accès à la prévention et à la santé. Manque d'accessibilité des lieux de soins et des campagnes de prévention, matériel inadapté, manque de formation des professionnels, restes à charge importants, sans compter les violences médicales... Cet amas de difficultés pousse certaines à renoncer aux soins, mettant ainsi leur santé et, par conséquent, leur vie en danger. « On ne me demande pas mon consentement avant de me toucher ! », déclare Justine, 23 ans. « Qu'on forme les médecins à nous écouter et nous croire. Par défaut la femme ment, augmente ses douleurs... Résultat : on fuit le plus possible les médecins », constate une autre. « Arrêter de sous-estimer la souffrance des femmes (notamment psychologique) sous prétexte que nous serions plus sensibles, moins fortes, 'hystériques'... », exige Manon, 27 ans. Autres sujets abordés dans le plaidoyer : la loi du silence qui règne dans les institutions ainsi que le manque de représentation des femmes handicapées à des postes à responsabilité (dans les médias, les instances de décisions, les organismes de représentation) auxquelles elles pourraient s'identifier. « L'absence de modèle positif vient ainsi alimenter les phénomènes d'autocensure », regrette Jacques Toubon, Défenseur des droits.
Des revendications légitimes
Pour changer la donne, APF France handicap demande qu'elles soient visibles dans toutes les campagnes concernant les femmes, notamment celles sur les violences ; idem pour les statistiques. L'association réclame aussi la promotion de la politique de diversité dans les différentes formations et entreprises, le libre choix des études par la mise en accessibilité des bâtiments et du contenu du cursus, la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH, la prise en charge financière intégrale des surcoûts liés aux aides humaines, techniques ainsi qu'aux aides ménagères et à la parentalité, ou encore la suppression des restes à charge liées aux soins (en particulier gynécologiques et obstétriques). Autres revendications : la création de services d'accompagnement sexuel, la sensibilisation et la formation du personnel médical et paramédical, notamment concernant l'accompagnement de la parentalité, mais aussi des professionnels de la police et de la justice pour un « réel accès à la justice »... Et aux principales concernées de conclure : En bref, « nous voulons simplement être des citoyennes ordinaires ! »