Le cas Polanski n'a pas manqué de plomber la cérémonie des César le 28 février 2020. Accusé de viol, le réalisateur a reçu le prix de la meilleure réalisation pour son film J'accuse. L'hommage de trop pour l'actrice Adèle Haenel qui a quitté la salle en criant « La honte », elle-même victime de violences sexuelles il y a quelques années. Invitée sur le plateau de Quotidien (groupe TF1) le 2 mars, Mimi Mathy est interrogée sur ce sujet. « Je comprends tout à fait sa réaction. Je n'ai pas été violée. J'ai eu cette chance. En même temps, je n'ai pas le même physique. Donc, je suis un peu à l'abri », explique l'humoriste atteinte d'achondroplasie, une maladie génétique causée par une anomalie de la croissance de l'os, qui engendre un nanisme.
Le malaise !
L'animateur Yann Barthès marque un silence, avant de répondre : « Mais ce n'est pas une question de physique ». Même s'il est manifeste qu'elle a fait preuve d'autodérision, les propos de Mimi Mathy ont été perçus par certains comme un « dérapage ». A quelques jours de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars, c'est l'occasion de revenir sur un sujet tabou. Si le mouvement #MeToo a permis de libérer la parole des femmes sur les violences sexuelles, de nombreux stéréotypes demeurent. En 2019, trois juges italiens ont rendu un verdict écœurant arguant que la victime présumée n'était pas assez belle et trop « masculine » pour être l'objet d'un viol « crédible ». Selon une étude réalisée en juin 2019 par Ipsos pour 20 minutes, 42 % des sondés estiment que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime « a eu une attitude provocante en public ». Le fait d'être « sexy » serait donc la condition sine qua non pour se faire violer, mettant à l'abri les personnes « hors normes » et autres « atypiques » ?
Femmes handicapées en 1ère ligne
Il faut savoir que les femmes vulnérables sont particulièrement exposées, qu'elles soient jugées « attirantes » ou pas. Et la situation de handicap est manifestement un facteur déterminant, d'autant que certaines d'entre elles ont parfois du mal à prendre conscience des limites du consentement et, plus que tout autre, peinent à identifier les intentions des prédateurs. Des victimes toutes désignées qui ne se rebellent ni ne dénoncent… Ce crime n'est ni une affaire de séduction ni même de pulsion, le sexe n'étant pas une fin en soi ; il s'agit de dominer, d'asservir, d'humilier. De prendre le pouvoir sur l'autre.
Alors que 14,5 % des Françaises âgées de 20 à 69 ans affirment avoir subi des violences sexuelles au cours de leur vie, ce chiffre passe à 90 % pour celles porteuses, par exemple, d'autisme. Des affaires d'agressions sexuelles au sein d'établissements médico-sociaux, commises aussi bien par le personnel que par d'autres résidents, défraient encore trop régulièrement la chronique. Aux Etats-Unis, en 2019, un infirmier est trahi par son ADN après qu'une résidente en état végétatif a mis au monde un bébé (article en lien ci-dessous).
Un numéro d'urgence dédié
D'après un rapport de l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences, et notamment sexuelles et conjugales. La sphère intime n'est, en effet, pas davantage un lieu de sécurité comme l'a rappelé le Grenelle des violences conjugales qui s'est tenu en septembre 2019 à Matignon (article en lien ci-dessous). Un « véritable fléau », selon l'association Femmes pour le dire femmes pour agir (FDFA) qui a mis en place un place un numéro d'écoute (non surtaxé) pour répondre à la détresse des femmes handicapées (01 40 47 06 06) (article en lien ci-dessous) et déplore en 2020 que ce service n'ait « jamais été aussi sollicité ».
Un facteur aggravant
Selon une conférence organisée au Sénat en décembre 2018, cette problématique spécifique est « l'angle mort » de la politique publique. En 2017, le secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes lançait pourtant une campagne de sensibilisation contre le viol (article en lien ci-dessous), incluant également les personnes handicapées via un exemple précis : « Il a profité du handicap mental de sa cousine pour abuser d'elle ». Selon la loi (article 222-24 du Code pénal), « lorsqu'il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité est due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse », le viol est considéré comme « aggravé », passible de 20 ans de prison. Même « tarif » en cas de viol conjugal, d'ailleurs.
Face à la justice
Infériorisées et infantilisées, ou pénalisées par des problèmes de communication, ces victimes ont pourtant parfois du mal à se faire entendre par la police et la justice, souvent au bénéfice de la parole de leur agresseur. Anne-Sarah Kertudo, non voyante, présidente de l'association Droit pluriel, dénonce, par exemple, le cas de femmes sourdes contraintes de mimer leur agression en l'absence d'interprète. La faute aussi à des parcours parfois « compliqués », notamment « psy », qui ne jouent pas en leur faveur et peinent à rendre leur témoignage « plausible ». Lisa (le nom a été changé) confiait, en 2019, au media Slate qu'un juge d'instruction lui aurait lancé à la figure, en parlant de son violeur : « Est-ce que vous ne considérez pas qu'il vous a rendu service ? ». Il semblerait donc « moins grave » de violer une femme handicapée qu'une femme valide. Ce serait même « lui faire une fleur » ?