Film "Presque" : en cas de handicap, l'amour à tout "prix"?

Presque, c'est une histoire d'amitié mais pas que... Une scène d'amour réamorce le débat sur l'accès à la sexualité des personnes handicapées via le recours à des prostituées ou assistants sexuels. Une comédie qui soulève un débat éthique majeur.

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Dans Presque, sorti en salle le 26 janvier 2022, il est question d'amitié, de handicap, de sexe aussi. Ce film réunit Bernard Campan, dans le costume d'un croque-mort, et le philosophe Alexandre Jollien qui campe Igor, un livreur en situation de handicap. Au-delà du lien, au départ improbable, qui va finir par unir ces deux hommes, cette comédie aborde sans détour les obstacles qui entravent la vie des personnes en situation de handicap. Et, parmi eux, l'accès à la vie intime...

L'éloge de la prostitution ?

Sans vouloir « déflorer » l'intrigue, l'une des scènes, le « pivot du film », selon Bernard Campan, est consacrée à la relation entre Igor et une prostituée. Moment « casse-gueule » par excellence, même si le sujet s'invite régulièrement au cinéma depuis des années, notamment, en 2021, dans Mission paradis, le road-trip sexuel de trois potes handi en route pour une maison close (article en lien ci-dessous). Si, sur la forme, la scène de Presque est pleine de pudeur, avec une jeune femme totalement consentante, sur le fond, elle interpelle. « Si Alexandre Jollien n'avait pas été handicapé, il se serait fait lyncher pour son éloge de la prostitution », dénonce un internaute auprès de Handicap.fr. Alors, certes, cette initiation à la sensualité semble métamorphoser le personnage d'Alexandre Jollien, qui se pensait « répugnant », mais elle relance le débat sur la légitimité de l'accompagnement sexuel en faveur des personnes en situation de handicap, qu'il soit réalisé par des volontaires dûment formés (notamment depuis 2015 par l'Association pour la promotion de l'accompagnement sexuel ou Appas) ou des travailleuses du sexe (puisque ce sont très majoritairement des hommes qui en font la demande).

Interdit en France

Rappelons que, s'il est autorisé dans certains pays comme la Suisse ou les Pays-Bas, l'accompagnement sexuel reste interdit en France où il est assimilé à de la prostitution. Pour et contre s'affrontent, les seconds dénonçant une marchandisation des corps et l'exploitation d'une vulnérabilité (les prostituées) au bénéfice d'une autre (les personnes handicapées). En 2020, le Haut conseil à l'égalité s'y était fermement opposé. En octobre 2021, interrogé par le gouvernement, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) s'était dit favorable à un accompagnement à la vie intime pour les personnes handicapées mais avait maintenu sa réserve sur « l'aide active à la sexualité ». Réponse ambiguë sur un sujet clivant...

« Notre société est mûre »

« La sexualité est un thème tabou et il faut faire évoluer les choses », encourage Alexandre Jollien, qui, après avoir passé sa jeunesse dans une institution, assure que le « pire était le manque d'affection ». Dans Presque, Igor mentionne d'ailleurs avoir été touché durant des années seulement avec des gants. Dans la vraie vie, Alexandre avoue avoir ressenti « la honte de ce corps ». Or, selon lui, « faire l'amour est un acte de tendresse, où l'on oublie l'ego, le regard sur soi, les complexes pour se donner à la vie. » Pour autant, cette relation peut-elle être, pour les personnes les plus « empêchées » et victimes d'une « abstinence non choisie », encadrée, tarifée, voire institutionnalisée ? Et, si oui, avec quels garde-fous ? En 2020, Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, s'était déclarée « favorable à l'accompagnement de la vie sexuelle des personnes handicapées par des assistants » (article en lien ci-dessous), position reprise en écho par Emmanuel Macron lors de la Conférence nationale du handicap. En octobre 2021, à l'occasion de l'avant-première du film Presque, elle réitère : « Je crois que notre société est mûre ».

La ministre a donc missionné le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) sur cette question, avec la collaboration d'APF France handicap et de CH(s)OSE, une association militante. Ils pourront s'appuyer sur l'expertise d'une chaire universitaire sur la santé sexuelle. Sophie Cluzel espère que « ce débat sera apaisé ». Rien n'est moins sûr car il s'agit là d'une question éthique majeure, qui risque certainement de prolonger une sulfureuse bataille...

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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