Le pitch. Anita, Rita, Ricardo et Andrés forment une bande de copains trisomiques qui partage les bancs de la même école depuis 40 ans. Mais ils aspirent à une autre vie. Ils voudraient juste pouvoir faire comme tout le monde : être autonome, gagner de l'argent, se marier, fonder une famille. Bref, qu'à plus de 50 ans on ne les considère plus comme des enfants. Enfin ! Mais cette "école de la vie" leur permettra-t-elle de réaliser leurs rêves ? Réalisatrice et productrice, le travail documentaire de la Chilienne Maite Alberdi offre des portraits intimes de microcosmes.
H.fr : Comment est né votre documentaire ?
Maite Alberdi : J'ai passé toute ma vie au contact d'une tante qui avait le syndrome de Down (trisomie 21). Ma grand-mère vivait dans l'angoisse de sa mort car, à l'époque, l'espérance de vie était de 25 ans (contre 60 aujourd'hui). La société n'était pas préparée à voir cette génération devenir adulte. L'idée de mon film vient de là.
H.fr : Comment avez-vous choisi l'institution où poser votre caméra ?
MA : J'ai prospecté longuement au Chili pour trouver des structures qui accueillent des adultes mais la législation protège les patients jusqu'à leurs 25 ans. Au-delà, il n'existe pas de structures pouvant accueillir ce type de public. Comme je voulais travailler avec des adultes, je n'ai trouvé qu'une seule institution qui cadrait avec mon projet. Ses élèves sont là depuis quarante ans ! Quand je m'en suis rendue compte, j'étais abasourdie. Nous n'avons pas l'habitude de voir des personnes matures, atteintes du syndrome de Down. Il est difficile de définir, en général, leur âge précis. Rita, par exemple, a l'air d'avoir 25 ans alors qu'en réalité elle en a 45. Mon film parle aussi de ça.
H.fr : Comment fonctionnent ces institutions au Chili ? Sont-elles financées par des fonds privés ?
MA : L'établissement où j'ai posé ma caméra est privé. Il n'y a pas d'équivalent au Chili, ni en Amérique latine. Dans le cas présent, il s'agit d'une école payée par les familles. Elle fonctionne en journée, et le soir les élèves rentrent chez eux. Ils ne peuvent pas poursuivre leurs études mais, dans cette école, ils vendent le fruit de leur travail de pâtissier contre un salaire symbolique. Mais, en même temps, ils payent pour être dans cette école. C'est une situation étrange et une vraie difficulté pour les parents dont ils restent dépendants.
H.fr : Il y a une scène très forte où les personnages font du porte à porte pour vendre leurs gâteaux. Personne ne leur ouvre.
MA : Cette scène est emblématique de la manière dont la société chilienne se refuse à intégrer les personnes atteintes de trisomie. J'ignorais constamment ce qui allait se passer quand je tournais et j'étais stupéfaite de voir que personne n'ouvrait jamais sa porte, ni ne leur achetait quoi que ce soit. C'est dans ces moments-là qu'on prend conscience de l'isolement de ces personnes. L'école n'entretient pas de relations à l'extérieur et ce groupe vit en marge de la société.
H.fr : Votre film donne l'impression d'un mélange entre documentaire et fiction, par la grâce de dialogues littéraires ou de saillies fulgurantes de vos personnages. Etaient-ils écrits au préalable ?
MA : J'aime beaucoup le fait qu'on pense que les dialogues étaient écrits ! Et pourtant aucun ne l'a été en amont et mes personnages ne jouent pas. Plusieurs raisons participent au fait que l'on pense que mon film est une fiction. La première, c'est que mes personnages parlent très lentement et, dans une même conversation, répètent les dialogues environ quatre fois, ce qui laisse le temps de bouger avec la caméra pour avoir le plan parfait. Dès lors, au montage, on peut construire une scène parfaite. La deuxième, c'est que nous les connaissions bien. Nous adaptions les déplacements de la caméra pour être là quand ils allaient dire quelque chose. Ils sont intelligents et disent tout ce qu'ils pensent, au moyen de phrases élaborées. Si je les avais écrites, elles n'auraient pas été aussi bonnes, croyez-moi ! Quand je leur demandais éventuellement de jouer quelque chose, c'était horrible, ils étaient tous de piètres acteurs.
H.fr : Le film est une tragédie moderne car Andres et Anita ne peuvent se marier. Quelle est le cadre légal au Chili sur cette question ?
AM : Oui, Andres et Anita font penser à Roméo et Juliette. Ce sont des héros de tragédie antique. Je considère qu'il n'y a pas de mauvaise législation en la matière, dans la mesure où les familles elles-mêmes les considèrent comme des enfants. La législation chilienne prévoit que le mariage entre personnes trisomiques est impossible mais aussi qu'on peut les payer en-dessous du salaire minimum, bien qu'ils effectuent les mêmes heures que les autres salariés. Les parents peuvent aussi les stériliser quand ils sont enfants, sans leur approbation évidemment. Il y a donc, d'un côté, la législation qui ne leur donne pas le droit d'être des adultes et, de l'autre, les familles qui ne se battent pas pour faire valoir leurs droits élémentaires.
H.fr : Souhaitiez-vous faire un film militant ?
AM : Mon objectif n'était pas de faire un documentaire militant traditionnel qui exposerait une thèse mais de faire un film politique qui montre la frustration de mes personnages. En donnant à ressentir leur liberté entravée, à travers leur relation à la société, les aspects politiques ressortent des situations du quotidien.
H.fr : Comment avez-vous choisi vos personnages principaux ?
AM : Quand j'ai commencé à faire mon film, je savais que je voulais faire ressortir la singularité de chacun d'eux. Je ne voulais pas qu'on me dise que les personnes atteintes du syndrome de Down ressemblent à des anges, sont toutes gentilles… Certaines ont bon caractère, d'autres pas. La meilleure façon de représenter ces individualités était d'avoir des personnages très différents les uns des autres, animés de désirs bien spécifiques. Andres et Anita veulent se marier. Ricardo, quant à lui, aspire à l'indépendance et veut avoir un vrai salaire à la fin du mois. Rita, elle, veut simplement une Barbie pour son anniversaire et manger beaucoup. Chaque désir est différent et légitime, et nous devons respecter cette diversité.
H.fr : Comment avez-vous persuadé vos personnages de prendre part au film ?
AM : J'ai beaucoup travaillé la relation avec les parents et l'école avant de tourner chaque scène. Je voulais que mes protagonistes comprennent les raisons pour lesquelles nous faisions ce film, ainsi que les choix de mise en scène et ce que nous souhaitions avoir à l'image au final. De cette manière, une relation de confiance et de proximité s'est établie entre les personnages, l'école et les parents.
H.fr : Etiez-vous consciente de l'humour présent dans de nombreuses scènes ?
AM : Oui, dès le début. Et je crois même que, sans cet humour, je n'aurais pas travaillé sur ce projet. Si l'on veut toucher le spectateur avec des personnages, il faut de l'émotion, et les miens n'en manquaient pas. L'humour est aussi un vecteur qui vous attache à l'histoire et, ensuite, le drame peut intervenir. La vie est à cette image, non ? Rita est mon personnage préféré. Elle me fait rire sans arrêt, je lui trouve un charme incroyable.
L'École de la vie sort dans le réseau art et essais mais également dans quelques salles UGC le 15 novembre 2017. Il sera diffusé en avant-première le mardi 14 novembre à 20h dans le cadre d'une projection organisée par LADAPT au cinéma Le Méliès de Montreuil (inscription ci-dessous).