Handicap.fr : Votre dernier long métrage, Coup de chaud (article complet en lien ci-dessous), sorti en août 2015, raconte l'histoire de Josef, un jeune handicapé mental qui devient le bouc émissaire de tout un village, jusqu'à en mourir. Il est tiré d'une histoire vraie qui vous a marquée.
Raphaël Jacoulot : Oui, cela s'est passé dans ma région d'origine, en 2008. Mon film reste assez fidèle à ce fait divers. Ce garçon avait un trouble mental lié à un accident à la naissance. Dès que j'ai entendu parler de ce drame - je n'étais pas très loin des lieux -, j'ai été interpelé par sa dimension sociale.
H.fr : Vous avez suivi l'affaire de près ?
RJ : Oui, je me suis même rendu au premier procès d'assises qui a eu lieu en 2011, j'ai rencontré les membres de sa famille et réalisé un gros travail d'enquête.
H.fr : A quelle peine ont été condamnés les responsables de la mort de ce jeune homme ?
RJ : La personne qui est passée à l'acte a pris un an ferme et quatre avec sursis. Le parquet a fait appel et, un an plus tard, le nouveau verdict demeurait assez proche.
H.fr : Un an ferme pour un meurtre, c'est très peu ?
RJ : Il a été considéré comme le bras armé de toute la communauté, c'est la rumeur qui l'aurait poussé à commettre ce crime. Cela lui a valu des circonstances atténuantes. Ce procès était en réalité celui de la victime car Josef a été présenté comme potentiellement dangereux et violent alors qu'il cherchait en réalité l'affection des autres.
H.fr : L'idiot du village est souvent présenté comme une figure sympathique mais ce n'est pas le cas dans votre film…
RJ : C'est une figure qui existe depuis la nuit des temps et peut en effet être une figure de « régulation » car les habitants sont habitués à sa présence. Mais, dans le cas présent, le drame se déroule dans un moment de grande tension et de crise lié à la canicule ; dans ces circonstances, la personne plus ou moins acceptée en temps normal ne devient plus tolérable.
H.fr : Une société malade qui se cherche en permanence des coupables ? Les personnes vulnérables sont-elles une cible privilégiée ?
RJ : Oui, il est en effet plus tentant de s'en prendre au plus vulnérable, plus facile de le repousser, de l'agresser ; c'est un processus qui se met en place de manière collective. D'autant que, même si sa fragilité peut le rendre attachant, Josef n'incarne pas seulement la figure de l'innocence, il y a aussi beaucoup de noirceur en lui. Son handicap fait peur… Et pas seulement son handicap puisque Josef est issu d'une famille de gens du voyage ; il incarne donc plusieurs motifs de discrimination.
H.fr : Vous avez sollicité des spécialistes du handicap au moment de l'écriture de l'intrigue ?
RJ : Disons que j'ai pu m'appuyer sur les expertises rendues publiques au moment des procès puis j'ai fait appel à des spécialistes pour m'assurer que je rendais compte du fonctionnement de Josef avec justesse.
H.fr : Vous avez le sentiment que Josef a été délaissé par les services sociaux ?
RJ : J'ai le sentiment qu'aucune institution ne pouvait lui venir en aide ni venir en aide aux habitants qui reprochaient à sa mère de trop le couver. Le maire a même tenté une hospitalisation sous contrainte mais qui a échoué car le profil de Josef ne correspondait pas à ce type de prise en charge.
H.fr : Votre film aborde également la question de la sexualité, souvent inassouvie, des personnes handicapées…
RJ : En effet. Josef manque cruellement d'affection et connait une immense frustration sexuelle. Lors du procès, il a même été qualifié « d'individu souffrant d'une débilité débonnaire affective ». Les autres jeunes se moquent de lui… Et tout bascule lorsqu'il agresse sexuellement une femme plus âgée. Il est arrêté par les gendarmes ; c'est cet évènement qui va déclencher la colère collective.
H.fr : Pour incarner Josef, avez-vous pensé à solliciter un acteur qui serait lui-même handicapé mental ?
RJ : Je me suis posé la question au début du casting mais me suis rendu compte rapidement que ce rôle était trop complexe, avec une vaste gamme d'émotions. J'ai rencontré Karim Leklou, un jeune acteur professionnel. Josef a une mobilité très particulière et Karim a travaillé presque comme un danseur. Ce qui est troublant, c'est qu'on me demande souvent si Karim a lui-même des difficultés ; pour moi, c'est un compliment car cela prouve qu'il a parfaitement incarné le personnage.
H.fr : C'est aussi ce qu'on pensait de Daniel Auteuil dans Jean de Florette. A l'étranger, certains étaient persuadés qu'il était handicapé mental…
RJ : Oui, j'ai visionné ce film avant le tournage car je voulais revoir le travail d'Auteuil qui incarne, tout comme Josef, un individu à la fois attachant et repoussant. J'avais aussi en tête l'image de Peter Lorre dans M le Maudit de Fritz Lang (1931) qui est victime d'une cabale parce qu'il s'en prend aux petites filles.
H.fr : Comment ce film, parfois sombre, a-t-il été accueilli par le public ?
RJ : Très bien et il fait l'objet d'échanges forts lors des débats car il adopte le point de vue des villageois. Les spectateurs partagent leur ressenti et beaucoup m'ont confié qu'ils avaient nourri ce même sentiment de rejet envers Josef, en tout cas au début. Cette mise en situation prouve que ces pensées a priori condamnables peuvent aussi être les nôtres.
H.fr : Et par le public en situation de handicap ?
RJ : Pour tout vous dire, je suis passé par le circuit classique lors de la promotion mais j'aimerais vraiment qu'il puisse être projeté au sein d'associations de personnes handicapées.
H.fr : Le cinéma s'est souvent inspiré du handicap, est-ce facile de convaincre les producteurs avec ce thème ?
RJ : Dans le domaine de l'art et l'essai, oui, car il est toujours intéressant de travailler sur les dimensions sociales et humaines. A ce titre, les personnes handicapées sont des figures de fiction qui peuvent devenir passionnantes.