La réforme est actée mais continue de faire débat. À compter du 1er janvier 2027, les accords agréés, qui permettaient aux entreprises de construire et financer leur propre politique handicap en interne, disparaîtront définitivement. Ces dernières devront désormais atteindre le taux légal de 6 % de travailleurs en situation de handicap ou verser leur contribution à l'Agefiph (fonds dédiés à leur insertion professionnelle dans le secteur privé). Ce changement de cadre, entériné par la loi « Avenir professionnel », bouleverse des pratiques installées depuis plus de trente ans et suscite, sur le terrain, autant d'inquiétudes que de réorganisations.
Les accords agréés, c'est quoi ?
Pour rappel, prévu par la loi de 1987, un accord agréé permet à une entreprise de s'exonérer partiellement ou totalement de sa contribution à l'Agefiph, en contrepartie de la mise en œuvre d'un plan d'actions pluriannuel dédié à l'emploi des personnes handicapées. Élaboré avec les partenaires sociaux, cet accord permettait de financer directement des actions de recrutement, de formation, d'accessibilité ou d'aménagement de postes. Il offrait aussi une liberté budgétaire précieuse à de nombreuses missions handicap. « Les entreprises sous accord agréé savent très bien comment gérer leur politique handicap en autonomie », souligne Hugues Defoy, directeur général par intérim de l'Agefiph.
Une extinction progressive d'ici fin 2026
Depuis le 1er janvier 2020, la loi limite ces accords à une durée de trois ans, renouvelable une seule fois. Les derniers ont pu être conclus jusqu'au 31 décembre 2023. Résultat : tous devront avoir pris fin d'ici au 31 décembre 2026. À cette date, les entreprises concernées devront basculer vers le droit commun et utiliser l'offre de services de l'Agefiph, à savoir l'ensemble des aides financières, prestations, accompagnements et outils que le fond propose pour favoriser l'emploi des personnes handicapées.
La crainte d'un ralentissement des initiatives handicap
Pour Christian Sanchez, président du Manifeste Inclusion – un collectif d'employeurs engagés pour l'inclusion –, cette réforme s'inscrit dans une logique budgétaire. « Supprimer les accords, c'est une manière discrète de récupérer des financements pour l'Agefiph, sans augmenter les charges apparentes des entreprises. » Il replace cette décision dans un contexte politique : « Le gouvernement ne voulait pas entendre parler d'une augmentation plus ou moins déguisée des charges des entreprises. Une solution apparemment simple et discrète a alors surgi : supprimer les accords agréés. Nous parlons quand même en centaines de millions d'euros à terme. » Le risque, selon lui ? Un ralentissement des initiatives, notamment dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI), et une perte d'efficacité sur le terrain.
L'Agefiph se veut compréhensive et rassurante
Hugues Defoy reconnaît que ce changement de cadre peut déstabiliser certaines structures : « Elles avaient un budget pour conduire leur politique handicap, donc elles étaient autonomes sur le sujet. Cette autonomie, souvent vécue comme un gage d'efficacité, leur permettait d'agir rapidement et de façon ciblée. Aujourd'hui, elles craignent de devoir rentrer dans un cadre plus contraint, ce qui crée un sentiment de perte de contrôle. »
Consciente des inquiétudes, l'Agefiph a mis en place un dispositif spécifique : la convention de services. Elle vise à accompagner les entreprises à la sortie d'un accord. « Nous contactons systématiquement les entreprises concernées, leur proposons des séquences de travail, un interlocuteur direct, une enveloppe budgétaire pour l'aménagement des postes », détaille Hugues Defoy. Certaines aides peuvent être prescrites directement, sans passer par un prescripteur externe. « Sur l'aide aux déplacements, par exemple, l'Agefiph finance jusqu'à 12 000 euros, et cela couvre 90 % des situations. Oui, certaines entreprises faisaient plus, mais dans la majorité des cas, nos aides suffisent. »
Moderniser la relation entre l'Agefiph et les employeurs
Pour Hugues Defoy, ce changement est aussi l'occasion de moderniser la relation entre l'Agefiph et les employeurs : « Nous devons construire une logique de services fondée sur la confiance, la transparence et la réactivité. Cela suppose de sortir d'une logique de suspicion ou de simple conformité, pour aller vers un accompagnement ajusté aux réalités des entreprises. » « Nous sommes à l'écoute et nous ajustons en fonction des retours du terrain », martèle-t-il.
Un risque de désengagement
Malgré ce dispositif, plusieurs voix s'élèvent pour alerter sur les effets à moyen terme. « Comment peut-on imaginer qu'une entreprise à qui l'on retire ses moyens d'action puisse conserver la même motivation dans sa politique d'emploi ? », s'interroge Christian Sanchez. Selon lui, les missions handicap voient leurs moyens réduits et risquent « une disparition pure et simple ». Le retrait des accords ne serait, à ses yeux, « qu'un risque », sans opportunité réelle. Il déplore également l'impact sur l'écosystème plus large : « Le secteur adapté et protégé voit réduire les demandes d'intervention des entreprises, les partenaires qui contribuaient à la mise en œuvre des politiques disparaissent. »
Imaginer des solutions alternatives
Christian Sanchez alerte aussi sur la complexité administrative qui freine l'action des entreprises : « Nos actions concrètes (adaptation de postes, formation, actions de développement de l'emploi…), désormais soumises à des subventions extérieures (même si les entreprises en sont les seules contributrices), sont alourdies par des processus complexes. » Il met en garde contre une perte de motivation : « Certains pensent que les difficultés ainsi créées vont renforcer la détermination des entreprises réellement engagées… C'est ignorer celles qui risquent de baisser les bras. » M. Sanchez appelle à revoir le cadre, notamment sur les dépenses déductibles, pour préserver « tout un écosystème efficace et motivé ».
Un tournant culturel à ne pas manquer
La fin des accords agréés marque donc un tournant. Pour certains, c'est l'occasion de repenser la politique handicap de manière plus transversale, mieux intégrée dans la stratégie RSE. Pour d'autres, c'est une perte de souplesse et d'autonomie qui pourrait freiner certaines initiatives. « Une entreprise qui s'est professionnalisée dans sa politique handicap n'a aucun intérêt à faire marche arrière », affirme Hugues Defoy.
À l'heure où les derniers accords arrivent à échéance, la question reste ouverte : les entreprises sauront-elles transformer la contrainte en opportunité ? Les pouvoirs publics prendront-ils la mesure de l'effet de cette réforme sur le terrain ? Pour Christian Sanchez, il est indispensable d'ouvrir un espace de concertation avec les acteurs de terrain. « Nous sommes demandeurs d'une collaboration plus étroite, plus réactive et plus confiante avec l'Agefiph, et d'un dialogue qui s'ouvrirait sur le sujet, en y adjoignant nos partenaires de l'écosystème et notamment les EA et Esat… » « Les entreprises sont prêtes, conclut-il. L'investissement personnel de beaucoup de dirigeants dans le Manifeste en témoigne. »
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