Comment accéder aux services d'urgence sociale (115, maraudes pédestres et motorisées, centres d'hébergement d'urgence, aide sociale…), lorsqu'on est en situation de handicap moteur ou sensoriel ? La galère, la double peine ! Parce que cette problématique est largement négligée, la Firah (Fondation internationale de recherche appliquée sur le handicap) a souhaité soutenir un projet de recherche. Rappelons que, contrairement à la recherche fondamentale, la recherche appliquée propose des solutions « concrètes », qui valorisent le savoir-faire et l'expérience des personnes concernées à toutes les étapes du processus.
Construire un cahier des charges
En s'appuyant sur l'exemple de Paris et de Lausanne, ce projet entend construire un cahier des charges et un livre blanc de l'accessibilité de l'urgence sociale pour que les besoins de ces publics spécifiques soient enfin pris en compte, à partir des leurs besoins réels. Il est mené par le CREAI (Centre régional d'études, d'actions et d'informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité) Ile-de-France avec la Haute école de travail social de Lausanne, l'Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis ainsi que des acteurs de terrain de la grande précarité (SAMU social de Paris, Armée du Salut…) et des associations du handicap.
Pauvreté et handicap corrélés
Les sans-abri font l'objet de nombreuses recherches, et notamment sous l'angle du handicap psychique puisque l'on admet que 30 % d'entre eux auraient des troubles de cet ordre : dépression sévère, schizophrénie, bipolarité… Mais, pour ceux concernés par un handicap moteur ou sensoriel, c'est le « trou noir ». Ils sont pourtant légitimement concernés puisqu'il est aujourd'hui démontré que les situations de handicap engendrent des phénomènes de pauvreté et que, réciproquement, la pauvreté est à la fois un élément important d'apparition de déficience et un facteur aggravant des situations de handicap. Or, pour ce public particulièrement vulnérable, le constat est sans appel, confronté à une double difficulté : les gens qui ont vécu à la rue ont difficilement accès aux services hospitaliers et les établissements d'urgence dédiés aux SDF ne sont pas accessibles. Autre exemple, lors des maraudes du Samu social, les bénévoles ne disposent pas de camions qui permettent de faire rentrer un fauteuil roulant électrique tandis que les fauteuils manuels ne peuvent être pris en charge que depuis très peu de temps.
Les acteurs autour de la table
« Cette invisibilité est problématique et cette recherche ne suffira certainement pas », explique Stéphane Rullac, professeur au sein de l'EESP (Ecole d'études sociales et pédagogiques de Lausanne). Mais elle a le mérite de mettre en lumière un sujet totalement laissé en jachère et, surtout, qui ne fait l'objet d'aucune concertation puisque les acteurs de l'urgence social et du handicap peinent à se rencontrer. L'objectif est donc de rompre ce cercle vicieux en mettant tout le monde autour de la table. « Nous avons réel désir de nous impliquer dans cette recherche scientifique », assure de son côté Chloé Magnan, conseillère technique au sein de l'Armée du Salut, ONG qui ne souhaite pas s'orienter uniquement sur des « problématiques de terrain ».
D'autres projets Firah…
Ce projet, qui n'en est qu'à ses prémices, sélectionné dans le cadre de l'appel à projets Handicap et grande précarité 2018, a été présenté le 14 mars 2019 lors des 6èmes rencontres Handicap, recherche et citoyenneté organisées par la Firah à Paris. L'occasion pour Axel Kahn, son président, de faire un « coup de projo », sur les recherches en cours et celles récemment soutenues. Quelques exemples : comment améliorer la vie des personnes en état végétatif chronique dans les unités de soin, comment optimiser la réussite des étudiants sourds en français écrit via des aménagements adaptés et des outils technologiques ou, encore, comment favoriser l'auto-détermination des personnes trisomiques et les encourager à davantage d'autonomie avec pour credo : « C'est ma vie, je la choisis ».
Mes amours, réponses concrètes
Quant à Mes amours (article en lien ci-dessous), soutenu par la Firah dès 2014, c'est un outil de formation interactif conçu pour favoriser l'accès des personnes porteuses d'un handicap intellectuel à la vie amoureuse. Cette démarche via des ateliers très pragmatiques au sein des établissements leur permet de comprendre ce qui, en matière d'intimité, est acceptable ou pas et questionne, avec elles, leur vie amoureuse, sentimentale et sexuelle. Les personnes trisomiques peuvent par exemple être les victimes de prédateurs sexuels : comment les protéger sans les assujettir ?
Présente à cette soirée, Sophie Cluzel, la secrétaire d'Etat au handicap, a promis, suite à sa rencontre le matin même avec 25 ministres et hauts fonctionnaires européens du handicap (article en lien ci-dessous), un « fonds européen de recherche sur les innovations sociales et technologiques ».