Son identité est un secret bien gardé. On sait juste qu'il (ou elle ?) oubliera pendant quelques minutes son fauteuil roulant pour marcher sur la pelouse de l'Arena Corinthians, grâce à un exosquelette motorisé crée par une équipe de 156 chercheurs du monde entier, dirigée par le médecin brésilien Miguel Nicolelis. "C'est la première fois qu'un exosquelette (ou squelette externe) est contrôlé par l'activité cérébrale et offre un feedback aux patients", déclare à l'AFP le neurologue.
30 ans de travail
Le médecin dit se confier dans un "mélange de fatigue et d'excitation". Car l'heure approche de l'aboutissement de 30 ans de travail, d'innombrables tests cliniques et plus de 200 publications scientifiques préalables. M. Nicolelis, professeur à l'université américaine de Duke, en Caroline du nord, a commencé ses recherches en 1984 pour rendre leur mobilité à ses patients ayant une atteinte de la moelle épinière. Il préparait alors sa thèse de doctorat sur les connexions neuronales responsables du contrôle des mouvements. A l'époque, il était à cent lieues d'imaginer que ses études prendraient vie sur un terrain de football, et encore moins lors du coup d'envoi d'une Coupe du monde dans son propre pays.
« Sentir marcher »
"Faire une démonstration sur un stade est inhabituel pour la robotique. Cela n'a jamais eu lieu", dit-il depuis son laboratoire. L'exosquelette qui portera le patient choisi pour la démonstration fonctionne en obéissant à des ordres moteurs de son propre cerveau. Ces ordres permettent à ses jambes inertes, en raison d'une lésion de la moelle épinière, de pouvoir remarcher. Ensuite, une série de circuits électroniques situés dans les pieds du squelette lui permettent de recevoir des sensations grâce à "une peau artificielle" installée sur son bras. Ainsi, la personne paralysée arrive non seulement à marcher mais aussi à sentir qu'elle marche.
Pas que le foot au Brésil !
« L'idée est née en 2002 quand nous avons commencé à construire des pièces robotiques dans le but de monter un exosquelette", explique le médecin. Début 2009, deux ans après le désignation du Brésil comme pays organisateur du Mondial-2014, "on m'a demandé des idées pour montrer un Brésil différent de celui des clichés. J'ai alors suggéré de faire une démonstration scientifique pour montrer que le Brésil investit dans la science et a les ressources humaines pour faire autre chose que du football".
Un véritable exploit
Depuis qu'il est arrivé à Sao Paulo fin mars, pour mettre au point les derniers détails de sa présentation, M. Nicolelis reconnaît que ni lui, ni son équipe de 40 personnes n'ont pratiquement quitté le laboratoire. Ce qui est sûr, c'est qu'aucun d'eux n'oubliera le 29 avril, quand le premier patient sélectionné pour l'étude a réussi à faire ses premiers pas avec le "BRA-Santos Dumont", nom donné à l'exosquelette. Les jours suivants, sept autres patients, âgés de 20 à 40 ans, participant au projet "Marcher à nouveau", ont fait leurs premiers pas. "C'est un geste symbolique qui va permettre de couronner 30 ans de travail et de le montrer au monde de façon optimiste en une minute pour redonner espoir aux gens. Nous allons réaliser un exploit : apporter la science sur un terrain de foot", souligne-t-il.
Des financements controversés
Mais de nombreuses voix scientifiques ont critiqué M. Nicolelis qui a troqué les publications spécialisées pour écrire dans les grands médias -on peut suivre ses progrès sur Facebook au jour le jour-, et l'anonymat d'un laboratoire pour un terrain de foot. D'autres ont ouvert une action en justice sur le bien-fondé des fonds alloués par le gouvernement brésilien. "L'investissement est le même avec ou sans Coupe du monde. Nous avons reçu 14 millions de dollars du gouvernement au cours des deux dernières années. C'est environ quatre ou cinq fois moins que ce que le gouvernement américain investit dans un bras mécanique", compare le scientifique. Plus de 65 000 supporters de l'Arena Corinthians et au moins un milliard de téléspectateurs du monde suivront de près les pas du BRA-Santos Dumont le 12 juin 2014.