« Jusqu'à quand les Jeux paralympiques d'hiver seront-ils inaccessibles aux athlètes porteurs d'un handicap mental ou psychique ? », questionne, sans détour, la tribune pour des Jeux vraiment inclusifs en 2030, portée par Marc Truffaut, président de la Fédération française du sport adapté (FFSA), et Sandrine Chaix, vice-présidente déléguée au handicap à la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Alors que la France se plaît à célébrer l'image d'un pays « engagé, résilient, inspirant » après les Jeux de Paris 2024, une réalité demeure : le sport adapté n'existe toujours pas dans l'équation paralympique d'hiver. À trois mois des Paralympiques de Milan Cortina (du 6 au 15 mars 2026), la tribune vise un objectif clair, tangible, urgent : obtenir leur réintégration dès 2030, pour les Jeux d'hiver organisés dans les Alpes françaises. Et, cette fois, plus question d'attendre encore une génération.
Un scandale de triche éclabousse le sport adapté
La « sentence » est tombée lors des Jeux de Nagano 1998, au Japon, et n'a jamais été levée. Le scandale de triche d'une équipe de basket de sport adapté espagnole aux Jeux de Sydney en 2000 a eu des « conséquences dramatiques », déplorent les auteurs de la tribune. Tous les sportifs présentant une déficience intellectuelle furent exclus du mouvement paralympique pendant plus d'une décennie. Leur retour progressif ne s'est amorcé qu'avec les Jeux de Londres en 2012, avec trois disciplines : athlétisme, natation et tennis de table), mais uniquement pour les Jeux d'été.
Un demi-million d'athlètes laissés hors-piste
« Pourtant, ces athlètes existent, s'entraînent, performent », affirme Marc Truffaut. Leur fédération mondiale, Virtus – l'une des organisations historiques du mouvement paralympique et partenaire clé du Comité international (IPC) – rassemble plus de 500 000 sportifs issus de 90 nations, un poids difficile à ignorer quand on parle d'inclusion olympique.
En France, la FFSA compte plus de 66 000 licenciés. Et les résultats parlent d'eux-mêmes : en 2023, les Global Games organisés à Vichy ont réuni 1 000 sportifs issus de 44 pays (Sport adapté : les Global Games s'ouvrent à Vichy). La délégation française a explosé les compteurs : 87 titres raflés. « Le sport adapté est un sport de haut niveau et non un sport à part », martèle Marc Truffaut. Comment justifier, alors, cet effacement de la carte paralympique ?
Un obstacle non plus sportif mais politique ?
Contrairement aux idées reçues, l'obstacle n'est ni technique, ni logistique. « Les disciplines sont prêtes, les règlements validés par Virtus et la Fédération internationale de ski et de snowboard (FIS), les classifications sont établies, les infrastructures existent déjà : tout est en place pour intégrer ces athlètes dans les compétitions hivernales dès 2030 », poursuit-il. De plus, « contrairement aux Jeux d'été, les paralympiques d'hiver permettent d'ajouter des disciplines et des catégories sans retirer celles existantes. Il s'agit là d'un levier important pour réintroduire des épreuves de para ski nordique ou de para ski alpin adaptés, notamment, sans empiéter sur les compétitions handisports actuelles », précise Marc Truffaut.
Et les arguments budgétaires ou de lisibilité ? Déjà balayés par les succès organisationnels des grandes compétitions récemment accueillies en France, comme les Global Games de Vichy en 2023 ou les championnats du monde de para ski alpin et nordique adaptés organisés à Tignes et Bessans en 2025.
Champions et élus montent au créneau
Dans ce combat « pour l'inclusion », les soutiens ne manquent pas. La tribune rassemble une constellation de figures du sport français : Marie Bochet (neuf fois médaillée de para ski alpin), Arnaud Assoumani (para athlétisme), Alexis Hanquinquant (double médaillé de para triathlon), David Smetanine (para natation) ou encore Florence Masnada (double médaillée olympique de ski alpin). La diversité des signataires (athlètes actuels, légendes olympiques, sportifs valides) montre que la question dépasse largement le cadre du sport adapté : c'est l'ensemble du paysage sportif français qui réclame l'ouverture. Le texte, porté aussi par plusieurs élus et parlementaires, prend ainsi une dimension nationale. Et son message est sans ambiguïté : « La fenêtre existe. La volonté doit suivre. »
« Moi aussi j'veux jouer » : l'expo photo qui humanise le débat
Quand les mots ne suffisent plus, les images prennent le relais. L'exposition photo « Moi aussi j'veux jouer », née à Grenoble, donne un visage à ceux qu'on laisse sur le bas-côté, et entend répondre à cette « injustice profonde ». Conçue par Marie Wattier, vice-présidente du Comité départemental olympique et sportif d'Isère, et Yves Frécon, président du Comité du sport adapté d'Isère, elle met en scène quinze athlètes porteurs d'autisme, de trisomie ou de déficience intellectuelle. Les portraits studio, intenses, font écho à des clichés pris « en action », révélant « la joie et la fierté » de ces sportifs à chaque défi surpassé. « Ce projet n'est pas une simple galerie d'images mais un cri citoyen pour l'inclusion et la reconnaissance de ces sportifs dans l'élite mondiale », expliquent ses organisateurs.
Rendre visibles ces « invisibles »
Les chiffres rappellent l'urgence. En 2024, « seulement sept des 380 membres de l'équipe de France présentaient un handicap intellectuel », tandis que les athlètes trisomiques en étaient totalement exclus. Pour les acteurs du sport adapté, cette invisibilisation ne se joue pas seulement sur les podiums mais aussi dans le discours médiatique, les politiques sportives et le regard de la société. À travers leurs images, les organisateurs de « Moi aussi j'veux jouer » veulent démontrer qu'« au-delà des préjugés, ces athlètes peuvent non seulement performer mais aussi inspirer ».
L'exposition invite également à l'action. Chaque visiteur est encouragé à signer la tribune « Jeux 2030 inclusifs » en ligne. L'objectif ? Faire évoluer la perception du handicap mental et psychique, et pousser le système sportif international à une transformation « concrète, durable, juste ».
Après Grenoble, l'exposition prendra la route : Lyon, Voiron, Clermont-Ferrand… avec, en ligne de mire, un rêve assumé : s'installer un jour sur les grilles du parc du Luxembourg à Paris.
Un héritage pour demain
La tribune le rappelle : si la France veut incarner une société réellement ouverte à toutes et tous, elle doit saisir « l'opportunité historique » que représentent les Jeux d'hiver 2030. L'enjeu n'est pas seulement sportif. Il est moral. Citoyen. Humain. « En devenant le premier pays hôte à inclure, de nouveau, des athlètes du sport adapté aussi bien aux Jeux paralympiques d'été que d'hiver, la France enverrait au monde un signal inédit, encouragent Marc Truffaut et Sandrine Chaix. Elle montrerait que l'inclusion ne doit pas être un horizon lointain, mais un engagement immédiat et universel. » À cinq ans de l'échéance, ils en appellent à un sursaut partagé : « Il reste une page à écrire. Une ligne à compléter. À nous de brandir haut ce drapeau. »
© Tribune « Jeux 2030 inclusifs »



