*Unafam : Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques
Handicap.fr : Le 24 juin 2017, une animation de l'émission phare de France 2, Fort Boyard, baptisée « L'Asile », a déclenché la colère des associations de personnes avec un handicap psychique, dont la vôtre (article complet en lien ci-dessous). De quoi s'agit-il ?
Béatrice Borrel : Ce qui nous a scandalisés, c'est la présentation des malades, « des fous », de façon extrêmement stigmatisante. Les personnes ayant des troubles psychiques sévères sont d'abord des personnes en souffrance, et plus encore ceux qui sont justement hospitalisés sous contrainte.
H.fr : Qu'est-ce qui vous a heurté dans cette séquence ?
BB : La simulation d'une chambre d'isolement (caméras, seau hygiénique) avec une personne ayant des comportements ridicules (marcher la tête en bas, pousser des cris...). La stigmatisation est une cause de souffrance supplémentaire pour les personnes vivant avec ces troubles sévères et un motif d'exclusion (logement, emploi, insertion sociale…).
H.fr : Handicap.fr avait relayé cette info aussitôt, et les commentaires étaient assez partagés, certains franchement scandalisés et d'autres, y compris de personnes touchées par le handicap psychique, affirmant qu'il ne s'agissait-là que d'un divertissement… Qu'en pensez-vous ?
BB : Là, il ne s'agit pas de faire de l'humour mais de ridiculiser grossièrement des malades. Surtout que, dans le cas présent, on ne parle jamais des maladies psychiques et de leurs conséquences sur la vie de ces personnes. Qui a relayé le plaidoyer pour un plan psychique que l'Unafam a rédigé avec deux autres associations ? Le 3e axe de ce plan est justement la lutte contre la discrimination et la stigmatisation. C'est vous dire combien ce point nous préoccupe.
H.fr : Lorsque, fin 2015, Charlie Hebdo avait titré « Nadine Morano, la fille trisomique de De Gaulle » sur sa couverture (article en lien ci-dessous), certaines associations avaient protesté mais Trisomie 21 France n'avait pas sillé en prétextant que l'inclusion passait aussi par le fait d'accepter le sarcasme, la dérision ou la critique. Faites-vous un lien avec « l'affaire » Fort Boyard ?
BB : Les mots « fou, schizophrène, autiste » sont employés constamment dans le langage courant. Par ailleurs, la violence est toujours associée à ces malades, de même que les clichés. Les malades, les familles sont très sensibles à ces phrases, touchés par ces propos. Pour autant, nous ne réagissons pas à chaque fois. Mais, en quelques mois, cela fait deux fois que la télévision ridiculise ces personnes malades. Ça suffit !
H.fr : C'est donner une image stéréotypée du handicap psychique qui pourrait impacter défavorablement les plus jeunes téléspectateurs ?
BB : Oui, ce qui peut entraîner des refus de soins, un retard au diagnostic, avec des conséquences en termes de gravité et de pronostic. D'ailleurs, les réflexions que nous menons concernant l'accès aux soins pour les pathologies psychiatriques amènent à recommander des lieux plus « banalisés » tellement les adolescents et jeunes adultes sont réticents à consulter un psychiatre.
H.fr : Aviez-vous réagi lorsque Cyril Hanouna avait, lui aussi, en 2016, dans une bande annonce pour son émission TPMP, donné une image très archaïque de la psychiatrie : camisole de force, patients aux yeux hagards ?
BB : Eh bien, oui. Cette vidéo a suscité notre indignation ainsi que celle d'autres d'associations. Mais il a fallu d'autres évènements discriminants par rapport à d'autres publics pour, qu'enfin, les excès de cette émission soient condamnés (NDLR : la polémique autour de propos homophobes).
H.fr : Quelle image la télévision française, et plus globalement les medias, renvoient-t-ils en général des personnes avec une maladie psychique ?
BB : Comme je vous l'ai indiqué, ce sont les titres à sensation, les idées fausses… Mais je dois saluer l'initiative de journalistes qui ont créé, en juin 2017, une association, « Ajir-psy », qui s'engage à donner au public une information objective et respectueuse sur les personnes souffrant de troubles psychiques. Cette association s'inscrit dans la même démarche que celle de journalistes au Québec.
H.fr : Ce sujet a été évoqué lors du colloque « Handicaps et medias » le 29 juin organisé, justement, en présence de la direction de France Télévisions. Etait-elle surprise de votre réaction ?
BB : Ce qui pourrait être drôle, ce serait de repasser les propos tenus au début de cette journée : « Devoir d'exemplarité de l'audiovisuel », « Il faut améliorer la représentation du handicap », « Media puissant pour le meilleur et pour le pire », « Des progrès sur France 2 »…
H.fr : La chaîne a-t-elle, selon vous, failli à sa mission de service public ?
BB : Oui, elle a un devoir de responsabilité. Par ailleurs, certains commentaires que j'ai pu entendre ou lire ensuite dans la presse ne montrent ni humanité ni intelligence et une grande méconnaissance.
H.fr : Vous avez également alerté le Défenseur des Droits et le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel)…
BB : Non seulement usagers, familles et soignants ont saisi le CSA et le Défenseurs des Droits mais, auparavant, l'Unafam a porté plainte auprès du Procureur de la République pour discrimination. Deux fois dans l'année, c'est trop !
H.fr : Comment France Télévisions compte-t-il réagir ? En supprimant cette animation, en la modifiant ?
BB : Il y a eu une modification, après ma lettre ouverte envoyée le jour du colloque. J'ai reçu une lettre de la direction de France 2 me l'indiquant. Cet « ajustement » (NDLR : atténuation du son et des commentaires dans l'émission diffusée le samedi suivant), ainsi que c'est écrit, ne nous convient pas. Je ne connais pas, au-delà, les intentions de la chaîne… Nous demandons tout simplement la suppression de cette animation !
© Capture France 2 + Thierry Debonnaire (portrait)