Par Stacey Knott, Sophie Bouillon à Lagos
Être handicapé est généralement perçu au Ghana comme une malédiction divine, mais un candidat à la présidentielle du 7 décembre 2016 veut défier les croyances en se présentant à la plus haute fonction de l'État, assis dans un fauteuil roulant. La candidature d'Ivor Greenstreet démontre qu'on peut « avancer malgré l'immobilité », selon le porte-parole de l'association des personnes handicapées (Ghana Federation of Disability Organisations), Alex Williams. « Il y a toujours cette perception qu'être dans un fauteuil rend les gens incapables de faire quoique ce soit », regrette M. Williams. Ce stéréotype, globalement partagé, est encore plus important dans un pays extrêmement religieux, où le handicap est perçu comme un châtiment pour avoir « mal agi ».
Encore plus engagé !
C'est un accident de voiture qui a conduit Ivor Greenstreet dans son fauteuil en 1997. Avocat de formation, il était déjà engagé en politique au sein du parti historique de l'indépendance, le Convention Peoples' Party (CPP), fondé par le père de la nation, Kwame Nkrumah. Son handicap l'a rendu encore « plus engagé et plus déterminé à parvenir à une meilleure justice sociale pour les personnes qui se sentent marginalisées », confie-t-il à l'AFP. Cette année, il a décidé de représenter son parti, et même s'il n'est pas le favori dans la course serrée qui oppose le président au pouvoir John Dramani Mahama et son principal opposant Nana Akufo-Addo du Nouveau parti patriotique (New patriotic party), Greenstreet reste fidèle aux valeurs du « Nkrumaisme » : justice sociale et panafricanisme. La priorité de son programme électoral est un meilleur partage des ressources naturelles entre le gouvernement ghanéen et les compagnies étrangères qui investissent dans l'extraction de l'or, du pétrole ou dans les plantations de cacao.
S'il peut le faire, pourquoi pas moi ?
Mercredi, le candidat a parcouru trois quartiers d'Accra, en voiture, d'où il distribuait des tracts et des autocollants au milieu de la foule dans une musique assourdissante crachée par de larges haut-parleurs. Ses supporters ou de simples passants, se battaient pour le toucher, lui parler... et attraper un T-shirt à son effigie. Sa course à la présidence aura fait tomber les tabous, et donné de l'inspiration a un grand nombre de personnes à mobilité réduite : 14 des 220 candidats du CPP qui se présentent aux législatives, qui auront lieu le même jour que la présidentielle, sont aussi porteurs de handicap. « C'est un chiffre incroyable », se réjouit leur chef de file. « Ils veulent maintenant faire entendre leur voix. Et je pense que d'un côté certains se sont dit "s'il peut le faire, pourquoi pas moi ?" », raconte Ivor Greenstreet avec fierté.
Ghana : exemple à suivre
Le Ghana reste un exemple sur le continent, à travers les mesures adoptées pour favoriser l'intégration des personnes handicapées dans la société, et notamment leur représentation en politique. En 2006, le parlement du Ghana a voté la Loi nationale sur l'invalidité (National disability act) qui garantit aux personnes handicapées, 15% de la population selon la fédération nationale, les mêmes droits que les personnes valides. En janvier 2013, le président Mahama a nommé Henry Seidu Daanaa, déficient visuel, au poste de ministre des Affaires traditionnelles, ce qui fut un premier « grand encouragement », selon M. Williams.
Face aux croyances populaires
Mais malgré ces efforts symboliques, il leur est extrêmement difficile de trouver du travail, avec le problème de mobilité bien sûr dans ce pays où les infrastructures sont réduites, mais surtout à cause des stigmatisations et des croyances populaires bien ancrées dans les esprits, et « auxquelles nous sommes confrontés à longueur de journée », se désole Alex Williams. Avoir Ivor Greenstreet comme candidat à la présidence est « extraordinaire » selon lui, « c'est une immense avancée et cela montre la voie » pour montrer que les personnes avec des handicaps peuvent concourir à des postes prestigieux.