"Une angoisse permanente", c'est le sentiment qui habite Patrick Galliand depuis la perte de son œil gauche, lors d'une manifestation des gilets jaunes. Il y a d'abord eu "la stupéfaction", puis la colère contre "les policiers et les politiques" et, enfin, une "phase de réflexion" pour "digérer" cette perte et le chamboulement que cela implique…
Rideau noir
Ce jour-là, le 24 novembre, ce commercial originaire de Morsang-sur-Orge, en grande couronne parisienne, s'était rendu avec quelques amis à la manifestation des "gilets jaunes" à Paris, pour l'acte 2 du mouvement social, "pour faire part de son mécontentement" envers la politique du gouvernement. "Au départ, se remémore-t-il, l'ambiance était bon enfant, les gens chantaient et braillaient". Mais peu à peu, des affrontements épars éclatent entre des manifestants et les forces de l'ordre. "Pas là, pour la bagarre", la bande d'amis décide de se mettre en retrait, dans une petite rue. Le reste, il peine à s'en souvenir avec exactitude. "J'ai entendu une très forte détonation et j'ai eu un choc à la tête", tente-t-il de se rappeler. "Ca a été hyper violent et tout de suite ça a été le rideau noir côté gauche. Je ne voyais plus rien et ça saignait abondement. C'est là que je me suis dit : 'mon œil a éclaté, c'est fini'", poursuit-il, amer.
Contraintes et défis
Quatre mois plus tard, une prothèse à l'œil gauche, cet homme au visage rond et jovial, qui ne porte pas de trace apparente de mutilation au visage, tente de s'adapter à sa nouvelle vie, faite de contraintes et de défis quotidiens. "La vie avec un œil, c'est avoir une chance sur deux de verser à côté du verre quand vous voulez vous servir de l'eau parce que vous n'avez qu'un relief relatif. C'est aussi le regard dans le miroir. J'ai une prothèse qui a été très bien faite mais j'ai un œil qui est fixe. Tous les matins quand je me rase, je vois ma tête. Il faut que j'admette que j'ai cette tête-là maintenant", confie-t-il.
Soutien de ses proches
Ce sont également certaines passions qu'il a dû abandonner ; comme sa moto, garée dans l'allée de son modeste pavillon, désormais recouverte d'une épaisse bâche. "Je vais la vendre. Conduire une voiture avec un œil, c'est compliqué". "En fait, ce sont des parts de vie qui s'en vont. C'est juste plus la même vie qu'avant", insiste-t-il, tout en se reconnaissant "chanceux" du soutien de sa famille. Celui par exemple de son fils, infirmier, qui supervise ses soins médicaux ou de sa compagne, dont la présence bienveillante facilite son quotidien. "Maintenant, lorsque je bricole, je mets systématiquement mes lunettes de sécurité parce que s'il arrive quoi que ce soit à mon autre œil, c'est fini, je suis aveugle".
Dépôt de plainte
Sa vie professionnelle n'a pas non plus été épargnée. Fini les longs trajets en voiture et les déplacements en solo. Dorénavant, un collègue doit l'accompagner pour éviter tout risque d'accident. A la perte d'autonomie s'ajoute l'inquiétude pour l'avenir. "Le médecin du travail m'a dit qu'à 62 ans, il faudra que j'arrête. Or, pour avoir une retraite suffisante, il faudrait que je travaille jusqu'à 67 ans. Ça va poser un problème financier", remarque-t-il. Pour toutes ces raisons, et parce qu'il estime être une "victime" de quelque chose qu'il n'a "ni cherché ni provoqué", Patrick a déposé plainte. L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) est saisie de l'enquête, selon une source proche du dossier. "Pour moi, c'est aussi une façon de dire mon opposition à ce qui s'est passé car toutes ses violences n'étaient absolument pas justifiées". S'il soutient toujours les "gilets jaunes", hors de question pour lui de retourner manifester. "Perdre un membre, ça vous change. On n'est plus le même après ça".
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