Handicap : G. Darrieussecq, priorité à la "facilitation"

Quels chantiers prioritaires ? Quid de la désinstitutionnalisation ? Où en est la déconjugalisation de l'AAH ? Trois mois après sa nomination, Geneviève Darrieussecq* annonce la couleur de sa mandature. Son mot d'ordre : simplification ! Interview.

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* Ministre déléguée aux Personnes handicapées

Handicap.fr : En un seul mot, quel est votre credo pour ce mandat ?
Geneviève Darrieussecq : Sachant que « complexité » et « difficultés d'accès » sont les mots qui reviennent le plus quand je suis sur le terrain, je dirais « simplification », ou plutôt « facilitation ».

H.fr : Une ambition déjà portée par Sophie Cluzel, ancienne secrétaire d'Etat au Handicap...
GD
: Effectivement, et nous allons poursuivre ce travail ardu, c'est un impératif pour tous, non seulement pour les personnes en situation de handicap, les familles mais aussi les professionnels. Ce ne sera pas simple parce que, comme dans beaucoup de domaines, certaines choses se sont empilées, sédimentées avec le temps. Il faut garder un objectif en tête : rendre service aux personnes en situation de handicap, leur être utile. Cela signifie proposer des dossiers moins complexes, à ne remplir qu'une fois, des délais de réponse moins longs... Tous ces « petits » éléments, qui semblent ne pas être de grandes promesses politiques, peuvent empoisonner le quotidien.

Nous souhaitons également aller jusqu'au bout de l'attribution de droits à vie, entamée par Sophie Cluzel, et réfléchir sur cette question des procédures accélérées, par exemple pour la Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Mais on demande aussi beaucoup aux Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Elles vont notamment devoir gérer, dès janvier 2023, la meilleure prise en compte des handicaps psychiques dans l'attribution des prestations de compensation du handicap (PCH).

H.fr : Quels sont vos deux autres chantiers prioritaires ?
GD
: Poursuivre l'inclusion à l'école et à l'université, mais aussi en emploi ; les personnes en situation de handicap doivent participer aux objectifs de plein emploi lancés actuellement par le gouvernement. Autre chantier : l'accessibilité universelle. Nous devons le reconnaître, nous avons du retard , notamment sur l'accessibilité des espaces publics, du numérique, mais les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 sont un levier pour les atteindre. Nous fixerons ces objectifs avec la Première ministre lors du premier Comité interministériel du handicap (CIH) le 6 octobre 2022 (article en lien ci-dessous).

H.fr : Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarité et de l'Autonomie, l'est également pour les Personnes handicapées. N'y-a-t-il pas un ministre de trop ?
GD
 : La mise en place d'un grand ministère social avec, à sa tête, Jean-Christophe Combe, vise à rassembler les enjeux. Certains sujets comme l'autonomie, l'accessibilité ou encore l'attractivité des métiers concernent autant les personnes âgées que celles en situation de handicap et nécessitent une vision commune. En tant que ministre déléguée, je suis impliquée dans la construction des politiques du handicap, suis en relation directe avec les associations et échange régulièrement avec Jean-Christophe Combe sur ces sujets. 

H.fr : Serez-vous attentive à ce que le sujet du handicap infuse dans tous les autres ministères ?
GD 
: Le positionnement du Secrétariat d'Etat auprès du Premier ministre dans le précédent quinquennat découlait d'une volonté d'un véritable travail interministériel, ce qui a été fait et va se poursuivre. La Première ministre Elisabeth Borne a sensibilisé tous les ministres à ce sujet, notamment en inscrivant le handicap dans chacune de leur feuille de route, et moi-même je rencontre tous mes collègues ministres. Par ailleurs,  nous continuerons à tenir deux CIH par an.  

H.fr : Avez-vous un lien personnel avec le handicap ? Quelle est votre connaissance du sujet ?
GD
: Aucun de mes proches n'est directement concerné, ce qui ne m'empêche pas de me sentir concernée. J'ai exercé la médecine pendant 25 ans, j'ai reçu de nombreux patients en situation de handicap. J'ai pu constater les difficultés d'accès aux soins, de prise en charge... J'ai également un vécu d'élue puisque j'ai été maire et présidente d'intercommunalité, donc je sais l'implication des élus auprès des familles concernées par le handicap, je connais les difficultés de mise en œuvre du dernier kilomètre, et c'est celui-là même qui m'importe car on peut prendre beaucoup de décisions « en haut » si ce n'est pas réalisé « en bas » cela  conduit à l'échec. 

H.fr : On peut donc rassurer les associations qui sont en attente de co-construction. Vous serez à l'écoute ?
GD
: Je serai toujours à l'écoute pour continuer à évoluer. Pour mettre en œuvre sa vision politique, un ministre n'est pas obligé d'avoir une connaissance technique pointue du sujet, il faut, selon moi, au contraire, s'appuyer sur le mouvement associatif, qui est puissant dans le milieu du handicap, et évidemment sur l'avis des personnes concernées.

H.fr : Le 6 septembre, le Collectif handicaps faisait part de ses inquiétudes. « Des feuilles de route qui, toutes, n'évoquent pas la politique du handicap et mettent à mal l'interministérialité, un Conseil national de la refondation (CNR) qui met un terme à l'ambition d'une politique de l'autonomie, le constat est malheureusement sans appel : encore une rentrée manquée pour le gouvernement sur la politique du handicap ! ». Quelle réponse apportez-vous à cette cinquantaine d'associations ?
GD
: La Première ministre, Jean-Christophe Combe et moi-même sommes très mobilisés. Le handicap fait partie des objectifs prioritaires. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), qui regroupe des associations mais aussi, assez largement, des personnes en situation de handicap, est pour nous un interlocuteur précieux pour évaluer notre politique sur le sujet. Quant au CNR, il va se décliner dans les territoires, il faudra alors que les associations soient présentes pour participer aux discussions sur le plan local que ce soit dans le champ de la santé ou encore de l'école dont les CNR thématiques ont été lancés le 3 octobre (article en lien ci-dessous). C'est ça qui sera intéressant et important.

H.fr : Votre première visite officielle était dans un Esat, puis les suivantes principalement dans le médico-social, une orientation symbolique qui a été critiquée par certaines associations de personnes handicapées auto-représentées. Que leur répondez-vous ?
GD
: Cette visite était un clin d'œil à mon territoire pour ma nouvelle nomination car cet Esat se situe chez moi, à Mont-de-Marsan (Landes). Je le connais très bien, il emploie des personnes qui y travaillent merveilleusement bien et depuis longtemps. J'assume d'être une affective, et être ministre ne me l'interdit pas.Selon moi, il faut prendre le temps d'aller voir tout le monde, comme les institutions un peu anciennes qui sont en train de s'ouvrir... Cette expérience de terrain me nourrit plus que les dossiers. Cela me permet de découvrir les leviers, les fils à tirer pour aller vers une plus grande ouverture, un enjeu majeur qui doit être partagé.  

H.fr : Justement, en septembre 2022, le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU repart au combat contre l'institutionnalisation en vigueur partout dans le monde (article en lien ci-dessous) mais qui a également fondé le système français. Comptez-vous suivre ses injonctions ?
GD
 : Il faut aussi faire preuve de pragmatisme. L'idée n'est pas de mettre fin à toutes les institutions du jour au lendemain mais de proposer une palette de solutions. Les habitats inclusifs peuvent en être une, par exemple, s'ils se situent dans le centre-ville, permettent la libre circulation des résidents et favorisent les interactions. Les départements seront notamment des partenaires privilégiés pour aller dans ce sens. Mais j'entends et constate que des associations gestionnaires s'interrogent. On aura toujours besoin des associations et des structures médico-sociales mais dans un nouveau rôle où elles s'ouvrent sur l'extérieur et l'appuient.

H.fr : La déconjugalisation de l'Allocation adulte handicapé (AAH) est prévue le 1er octobre 2023. Peut-on l'espérer avant ?
GD
: J'entends le ras-le-bol des personnes qui attendent la déconjugalisation de l'AAH depuis trente ans et doivent encore patienter mais c'est un chantier ambitieux, notamment pour la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) qui doit construire un outil informatique nouveau puisque jusqu'à maintenant toutes ses prestations étaient conjugalisées. D'autant  que les bénéficiaires de l'AAH peuvent également bénéficier d'autres allocations qui nécessitent un mode de calcul différent. Cette échéance du 1er octobre 2023 est donc liée non pas à des difficultés politiques ou budgétaires mais techniques. De manière générale, il faut comprendre qu'entre la décision politique et l'application, il y a un délai, qui semble toujours trop long aux personnes qui attendent mais qui est nécessaire pour garantir une mise en œuvre sans anomalie et sans faire de perdants. Un lancement au 1er janvier 2023 était impossible.

H.fr : Les associations demandent une AAH supérieure au seuil de pauvreté.
GD
: L'AAH a été revalorisée de 100 euros depuis 2017 et encore de 4 % cet été, et rappelons que les allocataires peuvent aussi souvent la cumuler avec les aides personnalisées au logement (APL) et certains avec la Majoration pour la vie autonome (MVA), etc. Ce qui me préoccupe plus, ce sont les effets de seuil qui empêchent certaines personnes d'aller vers l'emploi, pourtant désiré, car ils perdraient de l'argent. L'AAH a été mise en œuvre en 1975 ; j'ai le sentiment que la situation des personnes handicapées a beaucoup changé depuis. L'inclusion dans la vie sociétale, c'est le fait de pouvoir accéder à l'école, à un emploi, de pouvoir évoluer dans sa carrière professionnelle... Pour moi, c'est essentiel. L'inclusion passera par tous ces chemins, pour ceux qui le peuvent évidemment, avec leurs compétences, leurs capacités propres.

H.fr : Où en est le chantier sur les ressources ?
GD
 : Le CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) mène une étude sur ce sujet, qui nous sera précieuse, remise d'ici fin 2022.

H.fr : Où en est la cinquième branche Autonomie ?
GD
: La 5ème branche prend encore de l'ampleur dans le PLFSS 2023 avec une hausse de 5,2% des dépenses médico-sociales sur le handicap contre 3,7 % en moyenne. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) est actuellement en train de se structurer puisque 80 emplois supplémentaires ont été créés dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (Cog), afin de consolider son rôle d'animation de la politique de l'autonomie.   La CNSA a un rôle très important auprès des MDPH, notamment afin d'harmoniser les systèmes informatiques, mettre en cohérence les pratiques et parvenir à plus d'équité dans le versement des prestations.

H.fr : Un Comité interministériel du handicap (CIH) le 6 octobre 2022 et une Conférence nationale du handicap (CNH) au printemps 2023... Pour quelle utilité ? De nombreuses associations attendent de ces deux rendez-vous de nouvelles mesures. Ce sera le cas ?
GD
: Ce CIH sera le premier du nouveau gouvernement, l'occasion de faire le bilan sur plusieurs thèmes comme l'éducation, la santé, l'emploi, etc. La Première ministre a également prévu la présentation d'une méthode de travail pour le Gouvernement, mais aussi à destination des personnes en situation de handicap et de leurs représentants, afin de travailler jusqu'à la CNH. C'est ce second évènement, qui a lieu tous les trois ans, qui permettra de fixer la feuille de route pour les années à venir.

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