Handicap.fr : Quel est le parcours de ce jeune garçon handicapé marseillais qui a décidé de se jeter un jour dans le grand bain de la télé ?
Adda Abdelli : J'ai toujours adoré jouer et écrire. Je n'étais jamais le dernier à faire l'imbécile en classe. Pour les anniversaires et les mariages, on me réclamait systématiquement un petit texte. Alors, en 1995, j'ai eu envie de monter sur scène. J'ai écrit un one man show : « Quelques maux de moi ». A l'époque, personne ne connaissait Jamel Debouzze, ni aucun autre comédien handicapé. Alors le mec en béquilles a eu du mal à faire recette. J'allais donc dans des restaurants pour faire des « stand up ! ». Usant, épuisant, lassant... Au bout de quelques mois, j'ai tout arrêté pour m'occuper de ma femme et de mes enfants. J'ai renoncé à la comédie pour un poste de comptable à la ville de Marseille. Mais lorsqu'on a cela en soi, cette espèce de folie, impossible de lâcher vraiment...
H.fr : En 1997, vous décidez de vous mettre au sport, à la natation évidemment...
AA : Oui dans un club handisport de Marseille. C'est là que je rencontre Fabrice Chanut. Il a un don pour tchatcher et moi pour écrire. Nous cherchions un projet commun. Et puis, un soir, dans le vestiaire, le déclic ! Les nageurs déconnent, avec une once de cynisme, drôles et féroces comme tout le monde... C'est à ce moment qu'est né le premier épisode de la série. Puis une quinzaine. Les copains sont hilares. A cette époque, jamais nous n'aurions pensé qu'en 2013 nous tournerions avec Clémentine Célarié ! Fabrice, qui a déjà réalisé un court métrage primé au Festival d'Aubagne, propose ce délire entre potes à un producteur. La sauce prend. Le pilote est présenté à France 2, qui signe pour une première saison. « Vestiaires » débarque sur les écrans en 2011.
H.fr : Avez-vous ressenti des réticences à présenter de la sorte des corps atypiques, à mettre ainsi le handicap à nu ?
AA : Jamais, même si on savait que l'on courrait un risque énorme. Mis à part une dame qui semblait scandalisée qu'on se moque ainsi des « handicapés ». Elle était passée à côté de l'humour. Tous nos scénarii sont relus par la production mais n'ont jamais subi la moindre censure. Lorsqu'ils sont écartés, c'est tout simplement qu'ils ne sont pas drôles !
H.fr : A-t-il été difficile de caster des comédiens en situation de handicap ?
AA : Pas évident. Il n'y en a pas tant que ça ! On en a fait venir de toute la France. J'ai moi-même dû passer le casting et il m'a fallu trois essais avant de convaincre que l'auteur pouvait aussi être acteur !
H.fr : Cette prestation de comédien vous a-t-elle ensuite ouvert d'autres portes ?
AA : Rien de mirobolant, voire rien du tout... Par contre, en tant qu'auteur, j'ai été sollicité pour d'autres réalisations. Mais le rythme « Vestiaires » est assez prenant : sept mois d'écriture par saison et un mois de tournage.
H.fr : Le succès est tel que des guest-stars s'invitent dans la série...
AA : Oui, c'est toujours sympa d'aider les « petits jeunes » qui commencent... (Rires) Pascal Légitimus a été le premier à nous contacter. Idem pour Clémentine Célarié. Ca nous fait drôle de savoir que les gens du métier nous connaissent et nous apprécient. J'adorerais avoir Jamel Debouzze en guest mais je n'ai pas encore osé le contacter. Sur la saison 3, il y a également le nageur handisport David Smétanine ou encore Philippe Croizon.
H.fr : Un nageur insensé comme Philippe Croizon avait toute sa place dans ce délire aquatique !
AA : Evidemment. Philippe, c'est un mélange de Nicolas Hulot et de Christophe Colomb. Mais le monsieur a un agenda de ministre. Pour l'avoir, il a fallu réserver six mois à l'avance. Il était un peu sous tension car il faut savoir que, derrière la caméra, en studio comme dans la piscine, il y a une vingtaine de personnes. Mais c'est un aventurier qui n'a peur de rien et il a vite repris le dessus.
H.fr : Rire sur le handicap, c'est possible, sans limite ?
AA : Les personnes handicapées ont longtemps été traitées avec compassion puis elles sont parfois devenues des « héros du quotidien ». A croire que l'on ne peut pas être handicapé et « normal » ! Pour cela, il fallait franchir l'ultime étape : rire de tout et donc de nous ! On a maintenant fait le tour de la question.
H.fr : L'humour s'invite même dans le monde de l'entreprise ?
AA : De plus en plus d'entreprises concernées par la question de l'emploi de travailleurs handicapés diffusent des épisodes de Vestiaires lors de leurs conférences et nous proposent d'intervenir. Une bulle d'oxygène dans des moments sérieux mais qui permet de faire passer le message et de dédramatiser de manière efficace.
H.fr : Déjà trois saisons. Assez d'inspiration pour tenir encore longtemps ?
AA : Pour ça, pas de problème. On bouillonne d'idées folles. Le handicap est un sujet qui est plus que jamais d'actualité. Une muse sans fin car, pour nous tous, le handicap c'est à vie...
H.fr : Peut-on parler de « phénomène » Vestiaires ?
AA : Oui, et cela me touche beaucoup. J'ai l'impression que nous sommes devenus des référents. Il y a eu les Intouchables, nous sommes les Improbables ! Ce film à succès n'était pas seulement un feu de paille ; on constate des changements indéniables. Il y a eu les Jeux de Londres, la série avec le flic Caïn, le protagoniste handicapé dans Plus belle la vie. Tout ça, c'est du concret, surtout pour des mecs de ma génération qui ont vu tant de portes se refermer. Certains jeunes handicapés se rendent compte que le handicap peut aussi avoir sa place dans le star-system. Plus on nous verra et moins on nous verra !
« Vestiaires », saison 3, sur France 2, du lundi au vendredi à 13h45 à partir du 18 novembre 2013.