Par Damien Gaudissart
"Pour les collègues, quand tu as un handicap (...), tu rentres chez toi" : devant une centaine de personnes réunies au château de Chamerolles (Loiret), Christelle Guy raconte la stigmatisation professionnelle vécue après le diagnostic de son handicap visuel. Jusqu'alors épanouie au travail, dans la cuisine d'un lycée de Châteaudun, sa vie a basculé en 2005 quand elle a fait une hémorragie oculaire. Quelques semaines plus tard, le diagnostic tombe : comme un Français sur 2 000, elle a un kératocône, une déformation de la fragile couche présente à la surface de l'œil, la cornée. C'est le début d'années de souffrance au travail, comme en connaissent parfois les personnes atteintes de "handicaps invisibles" : déficiences visuelles, cancers, dépressions, diabète...
Tour de France des handicaps invisibles
Pour sensibiliser les employeurs publics à ces handicaps, le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp) organise depuis mai et jusqu'en 2024 un "Tour de France des handicaps invisibles", avec une étape par région (Lire : Le Fiphfp lance un Tour de France des handicaps invisibles). En septembre, la directrice du fonds, Marine Neuville, est venue rappeler au château de Chamerolles que 80 % des actifs handicapés "ont un handicap qui ne se voit pas", comme le kératocône. Ce dernier peut provoquer un dédoublement de la vision et dégrader la vision nocturne. "Quand j'ai dit aux collègues que je ne pouvais plus travailler le soir, ça n'a pas été bien vu", explique Christelle Guy dans la grande halle du château. "On m'a virée de la cuisine. On m'a mise un peu au ménage en attendant de trouver une solution, je suis partie faire du secrétariat" avant finalement d'exercer aujourd'hui comme agente d'accueil, raconte-t-elle. L'arrivée en 2021 d'une nouvelle responsable de service lui a enfin permis de retrouver du "plaisir" au travail.
Voir les qualités avant les défauts
"Avant de voir les défauts des gens, j'essaie de voir leurs qualités", assure cette responsable, Marie-Angélique Kennenga. "Si une personne est agressive", comme l'était devenue Mme Guy, "c'est forcément qu'elle a un mal-être et il faut essayer de creuser" pour le comprendre, poursuit-elle. En dépit du "harcèlement" décrit par Mme Guy, la fonction publique est meilleure élève que les entreprises privées en matière d'inclusion professionnelle.
Selon le Fiphfp, parmi ses 5,7 millions d'agents publics, la France comptait en 2022 plus de 260 000 personnes handicapées bénéficiaires de l'obligation d'emploi. Soit un taux d'emploi direct de 5,45% contre 3,5% dans le privé, en-deçà malgré tout du taux minimum de 6 % fixé par la loi. (Lire : Fonction publique et handicap: meilleure élève que le privé!).
L'affaire de tous…
Pour s'en rapprocher, il faut réaliser que "le handicap est l'affaire de tous", pas seulement des "référents handicap" de l'administration, martèle Marine Neuville. Médecin, ergonome, responsable hiérarchique, référents départementaux ou régionaux : "on est plusieurs à intervenir", résume Loriane Rochard, chargée de mission Handicap à la Région Centre-Val de Loire. Et à l'ère du numérique, chaque détail compte. "Quand j'ai commencé ma carrière" à la fin des années 1980, "le problème principal était l'aménagement de poste", se souvient Jamshid Kohandel, aveugle de naissance et spécialiste de l'accessibilité des sites web du gouvernement. "Aujourd'hui, le problème n'est pas uniquement là. On a un poste adapté mais les autres (agents publics, ndlr) utilisent des outils communs qu'on ne peut pas adapter", ajoute-t-il d'une voix douce. Remboursement de frais de mission, consultation d'offres d'emploi sur l'intranet de l'administration : des opérations banales virent rapidement au casse-tête.
Plus de bénéfices que de coûts
Pourtant, en facilitant notamment l'insertion professionnelle, "l'accessibilité numérique présente plus de bénéfices que de coûts pour la société", insiste M. Kohandel sous un soleil déclinant. "Le bénéfice est collectif, mais le coût est localisé" au niveau du service ou de l'administration. "C'est pour ça qu'on a besoin d'obligations légales et d'incitations", conclut-il. Le 21 novembre, la Direction interministérielle du numérique a signé une nouvelle convention avec le Fiphfp, dotée de 20 millions d'euros sur quatre ans, pour améliorer l'accessibilité des outils numériques utilisés par les agents publics, notamment dans les collectivités locales. Le gouvernement a en outre promis en septembre des sanctions renforcées pour les sites web de l'administration insuffisamment accessibles.
Davantage porté sur la sensibilisation, le Fiphfp compte lui poursuivre son "Tour de France" dès décembre en Occitanie, pour mieux faire connaître aux employeurs publics un autre type de handicap invisible : les troubles cognitifs.